Le lendemain d’une soirée festive, B, accompagnée de A et C rencontrés la veille, est allée au foyer d’asile où vivait A pour y passer la nuit. A et B ont eu des relations sexuelles consenties, puis A a demandé à C de les rejoindre pour que B puisse le satisfaire, ce qu’elle a refusé. À la demande de B, A a fait sortir C de la chambre. A s’apprêtait à fermer la porte lorsque C est entré, furieux, et a sommé A de quitter la chambre. A s’est exécuté, conscient que C aurait des relations sexuelles avec B, alors qu’elle s’y était opposée en tremblant de peur. B et C ont eu des relations sexuelles (baisers, rapports oraux et vaginaux) contre la volonté explicite et implicite de B. Celle-ci s’est livrée à C sans opposer de résistance physique, en partie par peur de lui.
Le 20 décembre 2018, A et C sont reconnus coupables de viol et de contrainte sexuelle commis en coactivité. A et C sont respectivement condamnés à une peine privative de liberté de deux ans avec sursis et de trois ans et six mois fermes. Le tribunal pénal de Bâle-Campagne a prononcé l’expulsion de A du pays pour six ans et huit ans pour C. A et C forment appel et le Ministère public appel-joint. La Cour cantonale de Bâle-Campagne confirme le jugement de première instance.
A porte l’affaire devant le Tribunal fédéral, concluant à son acquittement de tous les chefs d’accusation à son encontre.
Le recourant se prévaut d’un établissement erroné des faits. Selon lui, son comportement n’est pas constitutif de coactivité de viol et de contrainte sexuelle. En effet, A et C n’auraient pas pris la décision, ni implicitement ni explicitement, d’imposer leur envie d’entretenir des relations sexuelles avec B contre son gré et d’avoir recours à la force si nécessaire jusqu’à l’achèvement des rapports sexuels consentis. Le recourant souligne que tenter de convaincre B d’avoir des relations sexuelles avec C n’est pas un comportement devant être sanctionné. De plus, il affirme qu’à l’instant où il a quitté la chambre, il ne pouvait pas savoir que C allait avoir des rapports sexuels avec B contre sa volonté, ce qui exclut la coactivité, faute de plan commun. La Cour cantonale a retenu que le recourant avait conscience à tout le moins du risque de réalisation de l’infraction au moment de sortir de la chambre, mais il ne peut se voir imputer les agissements de C. L’intéressé soutient qu’en quittant les lieux, il a manifesté sa volonté de ne pas prendre part à la conversation entre B et C sur la question d’entretenir des relations sexuelles. Bien que le recourant se soit montré indifférent face aux intérêts de la victime, la réalisation des actes sexuels n’était pas ou ne devait pas être si probable que l’on puisse supposer qu’il a accepté leur survenance (c. 1.1).
À titre liminaire, le Tribunal fédéral énonce la teneur des art. 189 CP et art. 190 CP réprimant respectivement la contrainte sexuelle et le viol. Puis, la Haute Cour rappelle que la coactivité n’est pas réglée par la loi et que le coauteur désigne celui qui collabore de manière intentionnelle et déterminante avec d’autres individus à la prise de décision de commettre une infraction, à son organisation ou à son exécution, de sorte à en devenir un participant principal. Il doit ressortir de l’état de fait et du plan que la contribution du coauteur est essentielle à la perpétration de l’infraction. L’intention d’adopter le comportement n’est pas suffisante en tant que telle et la participation effective à l’exécution de l’infraction ou l’exercice d’une influence durant cette phase d’exécution ne sont pas requises. En effet, le coauteur ne doit pas obligatoirement commettre l’infraction (voir not. ATF 143 IV 361, c. 4.10). La coactivité nécessite une décision commune, expresse ou exprimée implicitement par actes concluants. Dans ce cas de figure, le coauteur ne doit pas obligatoirement intervenir lors de la phase de prise de décision, il suffit qu’il fasse sienne la décision commune de ses comparses. Le Tribunal fédéral apporte ensuite une nuance : selon la jurisprudence, est coauteur celui qui joue un rôle de premier plan dans la prise de décision ou l’organisation de l’infraction, mais la coactivité est également possible en l’absence de planification et de prise de mesures en amont de la commission de l’infraction (voir not. ATF 130 IV 58, c. 9.2.). Les différentes contributions à l’infraction réalisée en coactivité sont imputées à chaque coauteur (voir not. ATF 143 IV 361, c. 4.10). La commission en coactivité d’un viol ou d’une contrainte sexuelle est donc possible, même si l’un des comparses ne réalise pas personnellement l’acte sexuel. Cette configuration vise la personne qui se joint consciemment à la décision de l’auteur direct de commettre un viol ou une contrainte sexuelle sur une victime et adopte notamment un comportement l’encourageant à agir (c. 1.2.2 ; voir not. ATF 125 IV 134, c. 2 s.).
En outre, le Tribunal fédéral rappelle que celui qui, intentionnellement, se borne à prêter assistance à la commission d’un crime ou d’un délit en fournissant une contribution secondaire est complice au sens de l’art. 25 CP. Conformément à la jurisprudence, la contribution causale du complice doit favoriser l’infraction principale, en faciliter la commission de sorte que sans cette assistance, l’exécution de l’infraction se serait déroulée autrement. L’aide apportée par le complice doit augmenter les chances de succès de l’infraction principale. Le fait que l’infraction puisse être commise sans la contribution accessoire n’est pas un obstacle à la complicité (voir not. ATF 129 IV 124, c. 3.2). Le complice doit savoir ou envisager qu’il prête assistance à une infraction déterminée et le rechercher délibérément ou l’accepter. La prévision du déroulement des événements et la reconnaissance par le complice des caractéristiques principales de l’acte commis par l’auteur sont suffisantes. Cependant, une connaissance précise des détails de l’infraction principale n’est pas requise (voir not. ATF 132 IV 49, c. 1.1). La simple approbation de l’acte de l’auteur ne suffit néanmoins pas aux fins de la complicité (c. 1.2.3).
Un crime ou délit peut être commis en adoptant un comportement passif en violation d’un devoir d’agir (art. 11 al. 1 CP). La commission par omission ne vise pas la violation de n’importe quelle obligation juridique d’agir (art. 11 al. 2 CP). L’auteur de l’infraction doit tenir une position de garant. En d’autres termes, l’auteur doit être obligé de protéger un bien juridique déterminé contre les dangers auxquels il peut être exposé (devoir de protection) ou empêcher la concrétisation de dangers connus menaçant un bien juridique indéterminé (devoir de surveillance), de sorte que son abstention soit équivalente à la réalisation du résultat par l’adoption d’un comportement actif (art. 11 al. 3 CP ; ATF 141 IV 249, c. 1.1). Ainsi, la position de garant suppose l’existence d’une obligation juridique qualifiée, une obligation morale ou éthique étant insuffisante (voir not. ATF 123 IV 70). La position de garant permet d’éviter la punissabilité illimitée de tout individu qui, en demeurant passif, porte atteinte à des intérêts juridiques (ATF 113 IV 68, c. 7). Lorsque la délimitation entre une abstention et une action n’est pas évidente, le principe de subsidiarité s’applique (c. 1.2.4 ; TF 6B_1388/2017 du 4.4.2018, c. 4.3).
Le Tribunal fédéral a retenu une coactivité de viol par commission en se fondant notamment sur la présence du coauteur pendant le viol et le fait qu’il ait menacé la victime, l’ait empêchée de partir, ait fermé la porte à clé et l’ait encouragée à subir l’acte sexuel de l’auteur direct (ATF 125 IV 134). La coactivité de viol par commission a également été retenue dans le cas où le coauteur était dans la même pièce durant trois heures et a conseillé l’auteur du viol (TF 6B_875/2009 du 22.3.2010) et dans le cas où le coauteur était sur les lieux, notamment à l’intérieur ou à côté de la voiture dans laquelle le viol se produisait, a participé au maintien de la situation de contrainte et a encouragé l’auteur direct en le filmant (TF 6B_95/2015 du 25.1.2016). En revanche, dans le cas d’espèce, la coactivité de viol par commission est exclue. En effet, le recourant est sorti de la pièce et est resté à l’écart. Bien qu’en quittant une pièce, une personne adopte un comportement actif, le fait de se tenir à l’écart constitue une abstention. De plus, le recourant n’a pas encouragé C (c. 1.4.2.1).
Concernant la position de garant en cas de viol commis par omission, le Tribunal fédéral relève que le recourant n’a violé aucune obligation juridique qualifiée. À titre d’exemples, la Haute Cour a nié la position de garant de celui qui sort de la chambre dans laquelle le viol a lieu alors que la victime crie et appel au secours (TF 6B_72/2009 du 20.5.2009) et celui qui s’abstient d’intervenir alors qu’il a entendu et vu les actes sexuels auxquels des hommes se sont livrés dans le couloir (TF 6B_190/2014 du 25.9.2014). Dans le second jugement, le Tribunal fédéral a rejeté l’existence d’une position de garant fondée sur la création d’un risque, bien que le prévenu ait convié les auteurs de l’infraction sur le lieu de commission et ait, à tout le moins, envisagé la survenance de relations sexuelles entre eux et la victime (TF 6B_190/2014 du 25.9.2014, c. 4.2.2 et 4.4.2). En l’espèce, le recourant a reçu B et C dans son logement d’asile et en est donc le maître des lieux (« Hausherrschaft »). Un tel rôle n’a pas été établi comme déterminant dans la prise de décision de C de passer à l’acte. Le Tribunal fédéral souligne également le fait que la conscience du recourant ne portait pas sur le risque que C force la victime à passer à l’acte et qu’avant que C ne s’exécute, il l’a sommé de quitter la chambre. Ainsi, en l’absence d’une obligation juridique qualifiée dépassant le seuil de l’obligation morale ou éthique, le recourant n’a pas de position de garant. Partant, les conditions de la coactivité ou de la complicité par omission ne sont pas réalisées (c. 1.4.2.2).
En outre, le Tribunal fédéral affirme que ni l’intention du recourant, ni un lien implicite avec la prise de décision de C de s’exécuter ne sont avérés. L’intéressé ayant quitté la chambre, il n’avait donc pas non plus l’intention d’assister à la commission de l’infraction. Sa possible approbation des actes commis par C ne suffit pas aux fins de la coactivité ou de la complicité (c. 1.4.2.3).
Le Tribunal fédéral admet le recours, en se fondant sur le fait que le recourant, qui n’a pas participé de manière active à l’infraction, n’a pas de position de garant. Il ne peut donc se voir reprocher les agissements de C, même dans l’hypothèse où l’intéressé connaissait le risque que B soit violée ou contrainte sexuellement, ce qui est moralement reprochable et peut sembler répréhensible (c. 1.4.2 et 1.4.3).
Par son riche exposé de la casuistique en la matière, le présent arrêt constitue un rappel opportun de l’application des règles de la participation aux infractions de viol et de contrainte sexuelle. La question de la complicité par omission improprement dite appelle à notre sens quelques remarques. En effet, comme le relève CR CP I-Sträuli, art. 25 N 47, cette forme particulière de la participation à l’infraction – qui ne peut être réalisée que par un garant – ne se conçoit que lorsque l’activité directe par omission improprement dite n’est pas possible, soit dans les trois cas suivants :
- lorsqu’un garant s’abstient et commet ainsi une infraction propre pure ou mixte en tant qu’extraneus et en est donc auteur impossible, à l’instar de la mère qui laisse intentionnellement son fils de 17 ans commettre un faux témoignage au sens de l’art. 307 CP (N 48) ;
- lorsqu’un garant, par un comportement passif, réalise les éléments constitutifs d’une infraction, mais n’en réalise pas l’élément subjectif supplémentaire (N 49) ;
- lorsque le garant de surveillance d’une personne la laisse agir en tant que complice d’une infraction (N 50).
La complicité par omission improprement dite n’a vocation à intervenir que dans ces configurations, car en principe celui qui s’abstient en violation d’une obligation juridique particulière d’agir est un auteur direct (CR CP I-Sträuli, art. 25 N 47).