Tardiveté du recours contre une ordonnance d’établissement d’un profil ADN

Le fait de signer une ordonnance de prélèvement d’un échantillon ADN n’a aucune influence sur l’obligation légale de notification de l’ordonnance d’établissement du profil ADN prévue par l’art. 85 al. 1 et 2 CPP. En outre, une ordonnance ne peut pas être notifiée avant d’avoir été rendue par l’autorité compétente. Faute de notification, le délai de recours de dix jours prévu par l’art. 396 al. 1 CPP commence à courir le lendemain de la prise de connaissance de l’ordonnance en question.

Par ordonnance pénale du 7 novembre 2020, le Ministère public de la République et canton de Genève condamne l’intéressé pour violence ou menace contre les autorités et les fonctionnaires au sens de l’art. 285 ch. 1 al. 1 CP et empêchement d’accomplir un acte officiel au sens de l’art. 286 al. 1 CP. L’intéressé forme opposition. Le même jour, celui-ci signe la première page d’un document de deux pages intitulé « mandat pour la saisie des données signalétiques (art. 260 ss CPP) et prélèvement de l’ADN (art. 255 ss CPP) – Majeur » et accepte de se soumettre à la saisie et au prélèvement requis. Le 9 novembre 2020, le Ministère public ordonne l’établissement du profil ADN du prévenu et remplit la seconde page du document contenant notamment des informations relatives aux voies de recours. Le 15 septembre 2021, la Chambre pénale de recours de la Cour de justice de la République et canton de Genève déclare le recours de l’intéressé contre l’ordonnance du 9 novembre 2020, déposé le 7 juin 2021, irrecevable pour cause de tardiveté. Le prévenu forme un recours en matière pénale au Tribunal fédéral et requiert l’annulation de l’arrêt attaqué et le renvoi de la cause à l’autorité précédente.

Selon la cour cantonale, l’ordonnance d’établissement du profil ADN du recourant datée du 9 novembre 2020 lui a été notifiée le 7 novembre 2020, rendant son recours déposé le 7 juin 2021 tardif. Le recourant affirme en revanche que l’ordonnance ne lui a jamais été communiquée et qu’il n’a eu l’occasion d’en prendre connaissance que lors de la consultation de son dossier intervenue le 28 mai 2021. Il reproche ainsi à la cour cantonale une violation des art. 85 et 384 CPP (c. 3).

À titre liminaire, le Tribunal fédéral rappelle la différence entre l’ordonnance de prélèvement d’un échantillon ADN sur une personne vivante et celle de l’établissement du profil ADN de cette personne. L’art. 255 al. 1 let. a CPP prévoit que, pour élucider un crime ou un délit, le prélèvement d’un échantillon et l’établissement d’un profil ADN peuvent être ordonnés sur le prévenu. La jurisprudence a cependant eu l’occasion de préciser qu’une telle possibilité n’existe pas de manière systématique (voir not. ATF 147 I 372, c. 2.1 ; 145 IV 263, c. 3.4). L’ordonnance de prélèvement d’un échantillon ADN permet de prélever du matériel biologique sur une personne dans le but d’établir son profil ADN. Le prélèvement peut être non invasif (n’impliquant aucune blessure de la peau), comme un frottis de la muqueuse jugale, ou invasif (impliquant une blessure de la peau), lors d’une prise de sang par exemple. Le prélèvement non invasif d’échantillons peut être ordonné et exécuté par la police au sens de l’art. 255 al. 2 let. a CPP (ATF 141 IV 87, c. 1.3.2). Le prélèvement invasif d’échantillons doit quant à lui être ordonné par le ministère public ou le tribunal et exécuté par un médecin en vertu de l’art. 255 al. 2 let. b CPP (c. 3.1.2).

En ce qui concerne l’ordonnance d’établissement d’un profil ADN, le message du Conseil fédéral indique que celle-ci permet d’utiliser l’échantillon ADN dans le but d’établir la « combinaison alphanumérique individuelle, propre à chaque personne, qui est établie à l’aide de techniques relevant du domaine de la biologie moléculaire, à partir des segments non codants de la molécule d’ADN ; il permet d’identifier un individu de manière indiscutable » (FF 2001 19, 26). L’établissement d’un profil ADN à partir d’un échantillon prélevé sur une personne doit être ordonné par le ministère public ou le tribunal (ATF 141 IV 87, c. 1.3.2). Par ailleurs, une délégation générale de compétence à la police n’est pas possible parce qu’un examen de chaque cas particulier est nécessaire (ATF 141 IV 87, c. 1.3.2 et 1.4.2) (c. 3.1.3).

En l’espèce, selon la cour cantonale, le recourant a eu connaissance de l’ordonnance de prélèvement de l’échantillon ADN le 7 novembre 2020, raison pour laquelle elle a jugé que le recours déposé le 7 juin 2021 contre l’ordonnance d’établissement du profil ADN était tardif (l’arrêt mentionne le 28 mai 2021, mais le recours a bel et bien été formé le 7 juin 2021). L’instance inférieure a donc considéré que les ordonnances de prélèvement de l’échantillon ADN et d’établissement du profil ADN avaient été notifiées le même jour. Cependant, seule l’ordonnance de prélèvement de l’échantillon ADN a été notifiée le 7 novembre 2020 par la police. En effet, cette dernière n’avait pas la compétence d’ordonner l’établissement du profil ADN à partir de l’échantillon prélevé sur le prévenu. Un tel ordre n’est intervenu que le 9 novembre 2020, lorsque le Ministère public a signé la seconde page du document intitulé « mandat pour la saisie des données signalétiques (art. 260 ss CPP) et prélèvement de l’ADN (art. 255 ss CPP) – Majeur » (c. 3.2).

Conformément à l’art. 85 al. 1 et 2 CPP, sauf disposition contraire du présent code, les communications des autorités pénales sont notifiées en la forme écrite, et les autorités pénales notifient leurs prononcés par lettre signature ou par tout autre mode de communication impliquant un accusé de réception, notamment par l’entremise de la police. Les communications qui n’ont pas été notifiées en la forme prescrite ne déploient en principe aucun effet juridique (ATF 122 I 97, c. 3a/bb). Le fardeau de la preuve incombe aux autorités (voir not. ATF 136 V 295, c. 5.9 ; 129 I 8, c. 2.2). Néanmoins, la jurisprudence estime que des exceptions sont possibles, la protection des parties pouvant être suffisamment garantie lorsque la notification irrégulière a atteint son but malgré cette irrégularité (voir not. ATF 99 IV 50, c. 3). Selon les art. 384 let. b et 396 al. 1 CPP, le délai de recours commence à courir, pour les autres décisions, dès la notification de celles-ci, et le recours contre les décisions notifiées par écrit ou oralement est motivé et adressé par écrit, dans le délai de dix jours, à l’autorité de recours (c. 3.3.1 à 3.3.3).

En l’occurrence, l’ordonnance d’établissement du profil ADN du prévenu du 9 novembre 2020 n’a jamais été notifiée au recourant conformément à l’art. 85 al. 1 et 2 CPP. Le fait que celui-ci ait signé l’ordonnance de prélèvement de l’échantillon ADN le 7 novembre 2020 n’a aucune influence sur l’obligation légale de notification de l’ordonnance d’établissement du profil ADN. Quoi qu’il en soit, notre Haute Cour relève – très justement, selon nous – qu’une ordonnance ne peut pas être notifiée avant d’avoir été rendue par l’autorité compétente. Faute de notification, le délai de recours a commencé à courir le lendemain du jour où le recourant a pris connaissance de l’ordonnance en question, soit le 29 mai 2021. Le recours déposé le 7 juin 2021 a par conséquent été déposé dans le délai de dix jours prévu par l’art. 396 al. 1 CPP. Le recours est recevable (c. 3.4).

Finalement, en déclarant le recours contre l’ordonnance du 9 novembre 2020, déposé le 7 juin 2021, irrecevable pour cause de tardiveté, la cour cantonale est tombée dans l’arbitraire et a violé le droit fédéral. Le recours est admis, l’arrêt attaqué annulé et la cause renvoyée à l’autorité précédente (c. 3.5 et 4).

En substance, la solution retenue par le Tribunal fédéral ne prête pas le flanc à la critique. Toutefois, certains développements quant aux ordonnances de prélèvement d’un échantillon ADN et d’établissement d’un profil ADN sont imprécis et les citations y relatives incomplètes, voire erronées. En effet, le prélèvement non invasif d’échantillons peut être ordonné par la police au sens des art. 198 al. 1 let. c et 255 al. 2 let. a CPP (ATF 141 IV 87, c. 1.3.2). En dépit du silence de la loi, c’est la doctrine qui estime que le prélèvement peut également être effectué par la police (BSK StPO-Fricker/Maeder, art. 255N 27 ; CR CPP-Rohmer/Vuille, art. 255N 26), ce qui ne ressort pas de l’arrêt. Le prélèvement invasif d’échantillons doit être ordonné par le ministère public ou le tribunal au sens des art. 198 al. 1 let. a et b et 255 al. 1 CPP, et exécuté par un médecin ou un auxiliaire médical au sens de l’art. 258 CPP, et non en vertu de l’art. 255 al. 2 let. b CPP mentionné dans l’arrêt. L’établissement d’un profil ADN à partir d’un échantillon prélevé sur une personne doit quant à lui être ordonné par le ministère public ou le tribunal au sens des art. 198 al. 1 let. a et b et 255 al. 1 CPP (voir également ATF 141 IV 87, c. 1.3.2 ; BSK StPO-Fricker/Maeder, art. 255N 29 ; CR CPP-Rohmer/Vuille, art. 255N 24a). La compétence de la police se limite à l’établissement d’un profil ADN à partir de traces indiciaires retrouvées sur les lieux d’une infraction par exemple (art. 255 al. 2 let. b CPP). Or, la citation des dispositions légales pertinentes fait défaut dans l’arrêt et la doctrine est citée de manière imprécise.

Proposition de citation : Sandy Ferreiro Panzetta, Tardiveté du recours contre une ordonnance d’établissement d’un profil ADN, in : https://www.crimen.ch/94/ du 5 avril 2022