L’autorité de recours est tenue d’administrer d’office des preuves complémentaires lorsque celles-ci sont nécessaires au traitement du recours

L’audition d’un témoin à charge ne présuppose pas de demande expresse de la part de la défense. L’autorité de recours doit respecter la maxime de l’instruction (art. 6 CPP). Elle est donc tenue de veiller, non seulement sur demande, mais aussi d’office, à ce que toutes les preuves soient administrées conformément au droit et, par conséquent, de procéder de sa propre initiative aux auditions correspondantes conformément à l’art. 389 al. 3 CPP et à la jurisprudence constante du Tribunal fédéral.

Par jugement du 12 juin 2019, le Tribunal de district de Zurich a déclaré A coupable de multiples infractions, notamment de mise en danger de la vie d’autrui (art. 129 CP), de voies de fait (art. 126 al. 1 CP) et de vol (art. 139 ch. 1 CP). Il l’a condamné à une peine d’emprisonnement ferme de 45 mois (sous déduction de 172 jours de détention déjà effectués) ainsi qu’à une peine pécuniaire ferme de 90 jours-amende à CHF 30.- et à une amende de CHF 600.-. Par jugement du 25 mars 2021, la Cour suprême du canton de Zurich a rejeté l’appel interjeté par A contre cette décision. Ce dernier conteste les accusations susmentionnées à l’encontre de l’intimée 2 et se plaint d’une violation des art. 81 (teneur des prononcés de clôture) et 343 CPP (administration des preuves). A forme un recours en matière pénale au Tribunal fédéral et demande que le jugement attaqué soit annulé et renvoyé à l’instance inférieure pour nouveau jugement.

Le recourant reproche en substance à l’instance inférieure d’avoir rejeté sa demande de preuve visant à l’audition de l’intimée 2. En raison des contradictions et des incohérences dans ses déclarations, une telle audition est selon lui nécessaire, d’autant plus que l’instance inférieure ne mentionne aucun autre moyen de preuve ou indice confirmant l’exposé des faits de l’intimée 2. Par ailleurs, le recourant fait valoir que l’instance inférieure a également partiellement violé son obligation de motiver en passant sous silence certaines déclarations diamétralement opposées de l’intimée 2 (c. 2.1). L’instance inférieure considère, quant à elle, que les déclarations litigieuses des parties plaignantes ne se sont pas révélées contradictoires ou autrement invraisemblables, et qu’une audition de l’intimée 2 n’est donc pas nécessaire (c. 2.2).

À titre liminaire, le Tribunal fédéral rappelle que l’obligation pour l’autorité de motiver sa décision (art. 81 al. 3 CPP) découle du droit d’être entendu (art. 3 al. 2 let. c et 107 CPPart. 29 al. 2 Cst.art. 6 ch. 1 CEDH). Dans sa décision, l’autorité peut se limiter à l’examen des questions décisives. L’essentiel est que la personne concernée puisse se rendre compte de la portée de la décision et la contester en connaissance de cause devant l’instance supérieure. Il faut néanmoins que les considérations qui ont guidé l’autorité et sur lesquelles elle fonde sa décision soient, au moins brièvement, mentionnées (not. ATF 143 III 65, c. 5.2 et les références citées). En l’espèce, le grief relatif à la violation de l’obligation de motiver s’avère infondé (c. 3).

Notre Haute Cour se penche ensuite sur la question de savoir si l’instance inférieure pouvait renoncer à l’audition de l’intimée 2. La procédure pénale est régie par la maxime de l’instruction (art. 6 CPP). La procédure d’appel constitue l’une des étapes de la procédure pénale et se rattache aux actes de procédure déjà accomplis, notamment à l’administration des preuves (not. ATF 143 IV 408, c. 6.2.1). Conformément à l’art. 389 al. 1 CPP, la procédure de recours se fonde en principe sur les preuves administrées pendant la procédure préliminaire et la procédure de première instance. L’art. 389 al. 2 CPP précise toutefois que l’administration des preuves du tribunal de première instance peut être répétée si les dispositions en matière de preuves ont été enfreintes (let. a) ; l’administration des preuves était incomplète (let. b) ; les pièces relatives à l’administration des preuves ne semblent pas fiables (let. c). En outre, l’administration des preuves peut être répétée lorsque la connaissance directe du moyen de preuve apparaît nécessaire au prononcé du jugement (art. 343 al. 3 CPP en lien avec l’art. 405 al. 1 CPP), c’est-à-dire lorsqu’elle peut influencer l’issue de la procédure. C’est notamment le cas lorsque la force du moyen de preuve dépend de manière décisive de l’impression qui se dégage de sa présentation, par exemple lorsque les déclarations d’un témoin constituent le seul moyen de preuve direct. Ce n’est pas le contenu des déclarations du témoin (ce qu’il dit) qui est déterminant, mais son comportement en tant que témoin (comment il le dit) (not. ATF 140 IV 196, c. 4.4.2 et les références citées). Le tribunal dispose d’une marge d’appréciation pour déterminer si une nouvelle administration des preuves est nécessaire (not. ATF 140 IV 196, c. 4.4.2 et les références citées) (c. 4.1).

En l’espèce, l’intimée 2 reproche au recourant de l’avoir, le 10 mars 2017, frappée violemment et à plusieurs reprises, puis de l’avoir étranglée, également à plusieurs reprises, mettant ainsi sa vie en danger. En outre, le lendemain matin, le recourant aurait volé de l’argent liquide ainsi qu’une bague lui appartenant (c. 4.2). Le recourant conteste les faits qui lui sont reprochés. Outre les déclarations de l’intimée 2 et du recourant, l’instance inférieure dispose d’une expertise médico-légale datée du 21 mars 2017 et des rapports des policiers dépêchés sur place. Ces rapports ne sont toutefois que des témoignages par ouï-dire et non des perceptions directes de l’incident. Le Tribunal fédéral précise à cet effet, comme il a déjà eu l’occasion de le faire dans plusieurs arrêts, que le témoin par ouï-dire ne peut que déclarer ce qu’il a entendu, mais pas si ce qu’il a entendu est vrai (TF 6B_1265/2019 du 9.4.2020, c. 2.3 ; 6B_905/2010 du 16.6.2011, c. 2.3.2) (c. 4.3).

L’instance inférieure relève des contradictions et des incohérences dans les déclarations de l’intimée 2, ainsi que dans les rapports des policiers dépêchés sur place. Selon l’expertise médico-légale, aucun signe objectif de danger de mort n’a été constaté chez l’intimée 2, tels que des marques de strangulation ou des saignements congestifs dans la région du visage. En outre, des écorchures ont été constatées à différents endroits du corps de l’intimée 2. Celles-ci pourraient être la conséquence d’une agression, mais elles pourraient également résulter d’un contact avec une surface rugueuse ou du fait que l’intimée se soit grattée avec ses propres ongles. Au vu de ce qui précède, le danger de mort résulte uniquement des déclarations de l’intimée 2. Par ailleurs, son compagnon, qui se trouvait également dans l’appartement au moment des faits reprochés, a déclaré à la police n’avoir rien entendu et ne pas pouvoir donner d’indications sur l’incident. En ce qui concerne l’accusation de vol, l’instance inférieure relève également des contradictions et des incohérences dans les déclarations de l’intimée 2 (c. 4.4).

Dans ce contexte et au vu de la gravité non négligeable des faits reprochés, notre Haute Cour estime que l’administration directe des preuves par l’instance inférieure au sens de l’art. 343 al. 3 CPP s’avère nécessaire pour le prononcé du jugement. Il apparaît également nécessaire de clarifier la crédibilité du principal témoin à charge, respectivement la vraisemblance de ses déclarations, au moyen d’une audition judiciaire. Cela vaut d’autant plus que l’intimée 2 n’a jamais été entendue et qu’aucun tribunal de jugement ne s’est donc encore fait une impression directe et personnelle de son comportement en tant que témoin (TF 6B_1342/2017 du 23.11.2018, c. 4 ; 6B_1469/2017 du 18.6.2018, c. 1.4) (c. 4.5).

En renonçant à l’audition de l’intimée 2, l’instance inférieure a violé l’art. 343 al. 3 CPP. Le moment auquel la défense a présenté la demande de preuve correspondante n’y change rien puisque l’autorité de recours doit respecter la maxime de l’instruction (art. 6 CPP). Les juges fédéraux confirment ainsi leur jurisprudence antérieure en soulignant que l’autorité de recours est tenue de veiller à ce que toutes les preuves soient administrées conformément au droit et, par conséquent, de procéder de sa propre initiative aux auditions correspondantes (art. 389 al. 3 CPP ; TF 6B_145/2018 du 21.3.2019, c. 2.4) (c. 4.6).

Le recours est admis et l’affaire renvoyée à l’instance inférieure (c. 5).

Proposition de citation : Sandy Ferreiro Panzetta, L’autorité de recours est tenue d’administrer d’office des preuves complémentaires lorsque celles-ci sont nécessaires au traitement du recours, in : https://www.crimen.ch/112/ du 9 juin 2022