Saisie de données signalétiques et établissement d’un profil ADN : rappel à l’ordre du Tribunal fédéral

La saisie de données signalétiques ainsi que le prélèvement d'un échantillon et l'établissement d'un profil ADN, s’ils ne servent pas à élucider une infraction pour laquelle une instruction pénale est en cours, ne sont conformes au principe de la proportionnalité que s’il existe des indices sérieux et concrets de l’implication du prévenu dans d'autres infractions, mêmes futures. De plus, il doit s’agir d’infractions revêtant une certaine gravité. En l’espèce, le Tribunal fédéral a considéré que la seule inscription, dans le casier judiciaire du prévenu, d’une condamnation pour une infraction à la LStup ainsi qu’à la LCR ne suffit pas pour retenir que de tels indices existent.

I. En fait

Une procédure pénale a été ouverte par le Ministère public de Bâle-Campagne contre A pour des faits de vol, de dommages à la propriété et de violation de domicile. Il lui est en substance reproché d’avoir, sur le site d’une entreprise sise à Pratteln, monté la garde pendant que deux autres individus siphonnaient le carburant de camions dont ils avaient au préalable forcé les bouchons de réservoir. Le ministère public ordonne la saisie des données signalétique de A, le prélèvement d’un échantillon de son ADN (par frottis de la muqueuse jugale [FMJ]) ainsi que l’établissement d’un profil ADN. Le Tribunal cantonal de Bâle-Campagne rejette le recours de A contre cette décision et ce dernier porte l’affaire devant le Tribunal fédéral.

II. En Droit

La décision querellée constitue une décision finale au sens de l’art. 90 LTF (TF 1B_387/2021 du 19.5.2022, c. 1) dès lors que les mesures de contrainte contestées n’ont pas été ordonnées exclusivement pour les besoins de la procédure pénale ouverte à l’encontre du recourant mais également dans le but d’élucider d’autres crimes ou délits, anciens ou futurs, sans lien avec celle-ci. Les autres conditions de recevabilité étant données, le TF entre en matière sur le recours (c. 1).

Le prélèvement d’un échantillon et l’établissement d’un profil d’ADN (art. 255 CPP) peuvent être ordonnés non seulement lorsqu’ils servent à l’élucidation d’un crime ou d’un délit pour lequel le prévenu est poursuivi, mais également lorsqu’ils permettent d’identifier les auteurs d’infractions passées ou futures encore inconnues des autorités de poursuites pénales (art. 259 CPP cum art. 1 al. 2 let. a Loi sur les profils ADN). L’art. 255 CPP n’autorise toutefois pas que des échantillons d’ADN soient prélevés de manière routinière et encore moins qu’ils soient systématiquement analysés (ATF 147 I 372, c. 2.1). Ces mêmes principes s’appliquent à la saisie des données signalétiques (art. 260 al. 1 CPP) qui – à la différence des mesures de contrainte de l’art. 255 CPP – peut aussi être ordonnée pour des contraventions. Les mesures de contrainte des art. 255 et 260 CPP sont susceptibles de porter atteinte au droit à la liberté personnelle (art. 10 al. 2 Cst.) et à la protection contre l’emploi abusif de données personnelles (art. 13 al. 2 Cst.). Dès lors, la restriction desdits droits nécessite non seulement l’existence d’une base légale, mais doit également être justifiée par un intérêt public et être proportionnée (art. 36 Cst. concrétisé dans le CPP à l’art. 197 qui dispose que « [l]es mesures de contrainte ne peuvent être prises qu’aux conditions suivantes : a. elles sont prévues par la loi ; b. des soupçons suffisants laissent présumer une infraction ; c. les buts poursuivis ne peuvent pas être atteints par des mesures moins sévères ; d. elles apparaissent justifiées au regard de la gravité de l’infraction ») (c. 2).

Après avoir confirmé – à l’instar de l’instance inférieure – que l’existence de soupçons suffisants à l’encontre de A était fondée (c. 3 ss), le Tribunal fédéral procède à l’examen de la proportionnalité des mesures de contrainte contestées (c. 4). Selon la jurisprudence, lorsque la saisie des données signalétiques et le prélèvement d’un échantillon puis l’établissement d’un profil ADN n’ont pas vocation à élucider une infraction pour laquelle une instruction pénale est en cours, leur conformité au principe de la proportionnalité dépend de l’existence d’indices sérieux et concrets quant à l’implication du prévenu dans d’autres infractions, mêmes futures. L’infraction doit en outre revêtir une certaine gravité (ATF 147 I 372, c. 4.2 ; ATF 145 IV 263, c. 3.4). S’il convient de prendre en compte l’existence d’antécédents judiciaires, l’absence de tels antécédents ne signifie pas pour autant que les mesures de contrainte des art. 255 CPP et 260 CPP ne peuvent être ordonnées. Cela constitue cependant un élément dont il faut tenir compte lors de la pesée des intérêts (ATF 145 IV 263, c. 3.4 et TF 1B_230/2022 du 7.9.2022, c. 2.2). Quant à l’évaluation de la gravité de l’infraction, il s’agit notamment d’examiner non seulement la peine menace prévue par la loi ainsi que la poursuite sur plainte ou d’office de l’infraction, mais également la nature du bien juridique menacé et le contexte concret. De telles mesures de contrainte ordonnées à titre préventif sont proportionnées lorsque des dangers sérieux menacent des bien juridiques essentiels (intégrité physique ou sexuelle de personnes particulièrement sensibles ou patrimoine suivant les circonstances) (TF 1B_171/2021 du 6.7.21, c. 4.3) (c. 4.1).

En l’espèce, l’autorité précédente a retenu que même si A se trouvait dans son véhicule lorsque la police est intervenue, les mesures de contrainte ordonnées restaient aptes à élucider les faits dès lors qu’elles permettaient de déterminer la répartition concrète des rôles entre les différents prévenus. De plus, il existait, toujours selon l’autorité de recours, des indices sérieux et concrets quant à l’implication de A dans d’autres infractions, mêmes futures. Il est notamment fait référence à ses antécédents judiciaires liés à des infractions à la LStup et à la LCR (c. 4.2).

Reprenant les arguments développés par le recourant (c. 4.3), le TF réfute l’aptitude des mesures ordonnées à élucider les faits incriminés, en particulier quant à la répartition des rôles entre les protagonistes. Ce d’autant plus que les traces prélevées sur le lieu de l’infraction n’auraient pas été conservées. Par conséquent, la proportionnalité des mesures contestées dépend de l’existence de soupçons quant à l’implication de A dans d’autres infractions (futures ou passées) qui présentent une certaine gravité. Notre Haute Cour retient que de tels indices sont inexistants dans le cas d’espèce. En effet, il ressort du casier judiciaire de A qu’il a été condamné en 2015 pour une infraction à la LStup commise en 2012 ainsi que pour avoir conduit un véhicule automobile alors que son permis de conduire à l’essai était échu. Contrairement à l’opinion de l’autorité précédente (c. 4.2), on ne peut déduire de la seule condamnation à la LStup un indice de toxicomanie impliquant l’existence d’une activité délictueuse qui financerait sa consommation. Enfin, les faits reprochés à A ne mettent pas sérieusement en danger des biens juridiques essentiels. Le TF arrive ainsi à la conclusion que les mesures de contrainte ordonnées sont disproportionnées (c. 4.4) et admet le recours (c. 5).

III. Commentaire

Après l’ATF 147 I 372 (résumé in https://www.crimen.ch/19/), il s’agit d’un nouveau rappel à l’ordre du Tribunal fédéral aux autorités de poursuite pénale, intervenant cette fois-ci dans un contexte différent de celui des manifestations pour le climat. La saisie de données signalétiques ainsi que le prélèvement d’un échantillon et l’établissement d’un profil ADN exécutés de manière routinière sont exclus. Ainsi, l’évaluation des indices sérieux et concrets de l’implication du prévenu dans d’autres infractions passées ou futures doit se faire de manière rigoureuse. A plusieurs reprises, le Tribunal fédéral a eu l’occasion de rappeler ces critères stricts aux autorités de poursuite. Par exemple, mentionnons ici l’arrêt TF 1B_242/2020 du 2.9.2020 dans le cadre duquel le Tribunal fédéral avait considéré que l’impulsivité – non attestée par une expertise médicale – d’un prévenu qui ne possède pas de casier judiciaire ne constitue pas un indice suffisamment sérieux et concret. Plus récemment encore, notre Haute Cour a jugé comme disproportionné le prélèvement et l’établissement d’un profil ADN d’une personne prévenue de violence conjugale. Dès lors que le prévenu était séparé de son ancienne compagne, que rien ne laissait penser qu’il s’était engagé dans une nouvelle relation et qu’il n’avait pas d’antécédent judiciaire, le Tribunal fédéral a considéré qu’il n’existait pas d’indices sérieux et concrets qu’il puisse être impliqué dans d’autres infractions (TF 1B_508/2022 du 16.12.2022).

Proposition de citation : Laura Ces, Saisie de données signalétiques et établissement d’un profil ADN : rappel à l’ordre du Tribunal fédéral, in : https://www.crimen.ch/169/ du 21 février 2023