Mobile honorable et activisme climatique

Un mobile honorable (art. 48 let. a ch. 1 CP), conduisant à une atténuation de la peine (art. 48a CP), est susceptible d’entrer en considération à l’égard d’activistes du climat en tant qu’ils agissent dans une perspective de sensibilisation écologique, ou d’éveil des consciences face à l’insuffisance de l’action politique sur ce plan. Cependant, si les actions des activistes reflètent en même temps une critique anticapitaliste ou traduisent une remise en question de la légitimité démocratique du droit et des autorités chargées de son application, aucun mobile honorable ne peut être retenu. Il en va de même lorsque les actes des militants, par leur violence, conduisent à des déprédations ou à un risque d’atteinte à l’intégrité corporelle d’autrui.

I. En fait

En octobre 2018, A participe à la marche pour le climat à Genève. À cette occasion, il souille avec d’autres le bâtiment de la banque Crédit Suisse, qu’ils veulent amener à réduire ses investissements dans les énergies fossiles. Concrètement, ils laissent sur la façade des empreintes de mains avec de la peinture rouge, censées symboliser le sang des victimes du réchauffement climatique. A fournit immédiatement ses coordonnées à la police, contrairement aux autres auteurs qui ne seront pas identifiés.

Après une condamnation pour dommages à la propriété (art. 144 CP) à une peine pécuniaire avec sursis par le Tribunal pénal genevois, un acquittement en appel en raison de la reconnaissance d’un état de nécessité justificatif (art. 17 CP) par la Cour de justice genevoise et un renvoi à cette dernière par le Tribunal fédéral, la Cour confirme cette fois-ci la condamnation de A, mais modifie la peine en une amende de CHF 100. Le ministère public genevois forme recours au Tribunal fédéral contre cet arrêt qu’il juge trop clément.

II. En droit

Après avoir rappelé les principes de la fixation de la peine (art. 47 CP) et de son contrôle par le TF (c. 1.1), celui-ci résume le raisonnement de l’instance précédente. Cette dernière a fait crédit à A de ses motifs altruistes, de l’atteinte limitée au patrimoine de la banque, de ses précautions pour ne causer qu’un dommage temporaire, de sa prise de responsabilité, notamment en fournissant immédiatement ses coordonnées à la police, et du fait que son métier, le maraîchage, est particulièrement concerné par le changement climatique (c. 1.2.1). Au vu de ces circonstances, l’instance précédente a décidé, à la lumière des circonstances atténuantes décrites à l’art. 48 let. a ch. 1 CP (mobile honorable), à l’art. 48 let. a ch. 2 CP (détresse profonde) et à l’art. 48 let. c CP (état de profond désarroi), ainsi que de l’impact de la longue procédure sur A, d’infliger, en application de l’art. 48a CP, une amende modeste, qu’elle a jugée suffisante.

Notre Haute Cour examine alors les trois circonstances atténuantes mentionnées, en commençant par les mobiles honorables (c. 1.3). Elle rappelle les exigences auxquelles doivent répondre les mobiles pour être considérés comme « honorables » : ils doivent appartenir à la partie supérieure de la hiérarchie des valeurs éthiques reconnues par la collectivité dans son ensemble (c. 1.3.2 1e par.). Les motifs politiques peuvent, selon leur nature, être honorables, neutres du point de vue éthique ou même constituer un facteur aggravant (c. 1.3.2 2e par.). En tout état de cause, les mobiles honorables ne sont qu’un des éléments, parmi d’autres, susceptibles d’être pertinents dans l’appréciation de la peine ; il peut être mis complètement dans l’ombre par les autres circonstances comme, notamment, la manière dont l’infraction a été commise, le but visé ou la perversité particulière (c. 1.3.2 3e par.).

Ensuite, le TF résume sa jurisprudence concernant les motifs politiques. Bien que généralement restrictif en la matière (voir ATF 128 IV 53 ; 118 IV 74 ; 115 IV 65 ; 112 IV 129 ; 107 IV 29), le TF a retenu un mobile honorable à l’égard d’un participant à une action de Greenpeace, qui avait pénétré sans autorisation sur un site d’entreposage temporaire de déchets radioactifs pour monter sur une grue et y dérouler une grande banderole munie d’un slogan, considérant notamment qu’aucun acte de violence n’avait été commis contre des personnes, ni aucun dommage matériel (TF 6S.337/1998 du 17.6.1998, non publié) (c. 1.3.3 5e par.). En revanche, le TF a confirmé l’exclusion d’un mobile honorable dans le cas d’un activiste du climat qui avait participé au blocage de voies de circulation à Lausanne. Même à retenir que la défense du climat constituait un mobile se situant dans la partie supérieure des valeurs éthiques, ce dernier était occulté en l’occurrence par le caractère répétitif des actes punissables du militant et leur gravité croissante, laquelle avait culminé lorsque lui et ses acolytes avaient cherché la confrontation physique avec les forces de l’ordre et tenté d’ameuter les participants à une manifestation qui se voulait pacifique (TF 6B_1061/2021 du 9.5.2022) (c. 1.3.4 1e par.).

Les juges de Mon Repos constatent alors :

« Il n’est pas contestable que les enjeux liés aux effets néfastes des dérèglements climatiques et à la nécessité d’adopter rapidement des mesures pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, doivent être reconnus, de nos jours, comme une préoccupation des plus respectables dans notre société démocratique » (c. 1.3.5 1e par.).

Le TF rappelle les engagements pris par la Suisse dans le cadre de l’Accord de Paris sur le climat (c. 1.3.5 2e par.) et le constat du Conseil fédéral selon lequel le comportement en matière d’investissements et de financement en Suisse ne tenait pas encore suffisamment compte des objectifs fixés par l’Accord de Paris (FF 2018 229, 252 s.) (c. 1.3.5 3e par.).

D’une manière générale,

« il convient de reconnaître un caractère idéaliste, altruiste et partant respectable sur le plan éthique aux actions politiques menées par les militants du climat, en tant qu’elles visent à sensibiliser la population sur les conséquences néfastes des dérèglements climatiques et sur la nécessité d’y faire face par l’adoption de mesures nouvelles, y compris sur le plan de la réglementation bancaire et financière » (c. 1.3.6 1e par.).

Or,

« […] au regard notamment de la radicalité des slogans utilisés et des messages énoncés, mais également du choix des établissements visés, les actions mises en œuvre par les collectifs de militants pour le climat sont, bien souvent, également susceptibles de refléter, outre une préoccupation écologique légitime de leurs auteurs, une critique peu nuancée de la liberté économique ou encore du droit de propriété privée, dans une approche teintée d’anticapitalisme. Les appels à la désobéissance civile qui y sont parfois formulés tendent pour leur part à traduire une remise en cause de la légitimité démocratique du droit, pénal en particulier, ainsi que des autorités chargées de son application, que la cause climatique ne saurait à elle seule justifier.

A ces derniers égards, les actions des militants pour le climat ne sauraient dès lors d’emblée être considérées comme s’inscrivant dans la promotion de valeurs éthiques reconnues par l’ensemble de la population, ou du moins par la majorité de celle-ci. Elles dénotent bien plutôt, sur ce plan, un activisme purement idéologique, qui, en tant que tel, doit être tenu pour neutre sur l’échelle des valeurs » (c. 1.3.6 2e et 3e par.).

Ainsi,

« un mobile honorable, conduisant à une atténuation libre de la peine (art. 48a CP), est susceptible d’entrer en considération à l’égard de militants pour le climat en tant qu’ils agissent dans une perspective de sensibilisation écologique, ou d’éveil des consciences face à l’insuffisance de l’action politique sur ce plan.

Tel peut être le cas par exemple lorsque, sans commettre de violences ou de dégâts, les militants occupent durant une courte période des locaux commerciaux accessibles au public, voire des sites privés, pour y déployer des banderoles ou y délivrer un message par une action spécifiquement conçue. Tel peut aussi être le cas d’un bref sit-in opéré sur la voie publique, en tant qu’il n’entraîne pas de perturbations à la circulation routière ou au bon fonctionnement des services d’intérêt général et, plus généralement, à la sécurité publique. Selon les circonstances, le mobile honorable peut également être retenu lorsque l’acte provoque, d’une manière modeste et contrôlée ainsi que limitée dans le temps, des atteintes à la liberté d’action d’autrui.

En revanche, un mobile honorable doit en tout état être dénié lorsque les actes des militants, par leur violence, conduisent à des déprédations ou à un risque d’atteinte à l’intégrité corporelle d’autrui. Dans un État de droit tel que la Suisse, qui offre de larges garanties en termes de droits politiques et de liberté d’expression notamment, des actes de telle nature ne sauraient en effet être rendus excusables par la volonté de promouvoir quelque idéal politique, aussi respectable soit-il » (c. 1.3.7).

En l’espèce, les actes de A ont occasionné des frais de nettoyage de CHF 409.28, soit dépassant le seuil jurisprudentiel de CHF 300.- pertinent sous l’angle de l’art. 172ter CP. Par ailleurs, A n’a pas proposé de procéder lui-même au nettoyage. Enfin, la commission de déprédations est propre à ôter tout caractère honorable au mobile poursuivi par l’intimé, de sorte que la peine ne saurait être atténuée en application de l’art. 48 let. a ch. 1 CP (c. 1.3.8).

De plus, le TF examine les conditions du profond désarroi (art. 48 let. c CP) et de la situation de détresse profonde (art. 48 let. a ch. 2 CP) et explique en quoi ces deux circonstances atténuantes diffèrent (c. 1.4.1 et 1.4.2).

En l’espèce, il n’y a pas eu de profond désarroi, car il n’est pas établi que A se trouvait au comble du désespoir. Aussi, il n’est pas clair de savoir dans quelle mesure l’état psychologique de A se distinguerait de celui de toute personne, agissant dans la légalité, susceptible de ressentir de manière légitime des inquiétudes à la lecture des écrits scientifiques (c. 1.4.3).

De même, il n’y a pas de situation de détresse profonde, car il n’apparaît pas que la commission de déprédations au préjudice d’une banque consacre un acte nécessaire au but de sensibilisation recherché, dès lors que d’autres démarches, portant des atteintes moindres, étaient envisageables pour atteindre ce but (c. 1.4.4).

Partant, le TF admet le recours et renvoie la cause à la cour cantonale genevoise (c. 2).

III. Commentaire

L’affaire devant nous, qui concerne l’action « mains rouges », porte sur une infraction simple : des dommages à la propriété. Pourtant, des années après l’action, son évaluation pénale n’est toujours pas terminée : dans le présent arrêt, le TF renvoie une nouvelle fois l’affaire à l’instance inférieure quatre ans et demi plus tard. Ce qui est difficile dans cette affaire, c’est l’interaction entre le droit et la morale, entre la légalité et la légitimité. Certains semblent être prêts à interpréter le droit de manière extensive pour aider les activistes du climat et, ainsi, la cause dont ils sont les défenseurs. D’autres veulent faire sentir aux activistes toute la rigueur de la loi, telle qu’elle s’applique en cas d’interprétation restrictive. Il semblerait ainsi que les activistes du climat ne sont pas les seuls à agir pour des « motifs politiques ».

Nous avons expliqué ailleurs comment nous résoudrions les cas d’activisme du climat sur le plan pénal (voir Andrés Payer, Klimawandel und strafrechtlicher Notstand, ex/ante 2/2020, 21 ss ; idem, PJA 2021, 1310 ss). Notre solution d’appliquer l’art. 52 CP – par une interprétation plus large de cette disposition que celle du TF – ne s’appliquerait toutefois pas en l’espèce, puisqu’un dommage à la propriété a été commis. Reste la question de savoir si A aurait dû bénéficier d’une atténuation de la peine selon l’art. 48 let. a ch. 1 cum art. 48a CP. À notre avis, les meilleurs arguments plaident en faveur de cette solution, contrairement à ce que le TF retient dans le présent arrêt.

Les juges de Mon Repos expliquent qu’un mobile honorable doit être nié lorsque « les actes des militants, par leur violence, conduisent à des déprédations ou à un risque d’atteinte à l’intégrité corporelle d’autrui ». Il argumente que de tels actes « ne sauraient […] être rendus excusables » et s’appuie sur sa jurisprudence selon laquelle un mobile honorable peut être éclipsé par d’autres circonstances (ATF 128 IV 53, c. 3a ; TF 6B_1061/2021 du 9.5.2022, c. 7.1 ; TF 6B_145/2021 du 3.1.2022, c. 6.2). Cette argumentation soulève toutefois trois objections.

Premièrement, admettre un mobile honorable ne signifie pas rendre les actes en question « excusables » (comme le signifierait l’application de l’art. 16 ou de l’art. 18 CP). Il ne s’agit même pas d’une exemption de peine (art. 52 ss CP), mais seulement d’une atténuation de la peine qui peut n’être que d’une unité. Certes, une amende de CHF 1.- seulement peut théoriquement être ordonnée (voir CR CP I-Jeanneret, art. 106 N 2) mais, si celle-ci ne semble pas du tout appropriée, le TF peut intervenir (cf. c. 1.1 du présent arrêt et références).

Deuxièmement, la pratique du TF selon laquelle les mobiles honorables pourraient être relégués à l’arrière-plan ne trouve aucun appui dans la loi. Elle pouvait être justifiée avant l’entrée en vigueur de la révision de la partie générale le 1er janvier 2007 (tel est le cas dans l’ATF 128 IV 53), lorsque l’atténuation de la peine prévue à l’ancien art. 64 CP était encore facultative, mais elle ne l’est plus depuis que le législateur a délibérément rendu l’atténuation de la peine obligatoire à l’art. 48 CP. En effet, comme le Conseil fédéral l’a constaté, « [p]our être compatible avec le droit pénal fondé sur la culpabilité, l’atténuation de la peine doit revêtir un caractère obligatoire lorsque les conditions en sont effectivement remplies » (Message concernant la modification du code pénal suisse (dispositions générales, entrée en vigueur et application du code pénal) et du code pénal militaire ainsi qu’une loi fédérale régissant la condition pénale des mineurs du 21.9.1998, FF 1998 II 1787, 1867 ; voir aussi Hans Schultz, Bericht und Vorentwurf zur Revision des Allgemeinen Teils und des Dritten Buches «Einführung und Anwendung des Gesetzes» des Schweizerischen Strafgesetzbuches, Berne 1987, 125).

Troisièmement, une interprétation grammaticale et historique plaide aussi contre la limitation par le TF de l’art. 48 let. a ch. 1 CP aux actes qui ne conduisent pas à des déprédations ou à un risque d’atteinte à l’intégrité corporelle d’autrui : selon le texte de la loi, c’est le mobile qui doit être « honorable » et non l’acte. Or, des mobiles honorables peuvent également exister dans le cas de dommages à la propriété ou même de lésions corporelles. Cette conception est également étayée par les travaux préparatoires, dont il ne ressort aucune restriction de l’atténuation de la peine pour des mobiles honorables à des actes « anodins » (voir au contraire Carl Stooss, Schweizerisches Strafgesetzbuch, Vorentwurf mit Motiven, Bâle/Genève 1894, 145 s. ; voir aussi l’avis de Bärlocher in Schweizerisches Strafrecht, Verhandlungen der vom Eidgenössischen Justiz- und Polizeidepartement einberufenen Expertenkommission über den Vorentwurf zu einem Schweizerischen Strafgesetzbuch, tôme II, Berne 1896, 494 ; voir toutefois, concernant la haute trahison, les avis de von Schuhmacher et de Scherb, ibid., 248).

Au vu de ce qui précède, la restriction apportée par le TF à l’art. 48 let. a ch. 1 CP devrait être rejetée et A aurait dû bénéficier d’une atténuation de la peine en application de cette disposition.

Proposition de citation : Andrés Payer, Mobile honorable et activisme climatique, in : https://www.crimen.ch/192/ du 14 juin 2023