Rape by deception ? – Viol par dol ?

Une peine privative de liberté de deux ans au titre de l’art. 190 aCP est exagérément clémente et contraire au droit fédéral en dépit du contexte des relations sexuelles obtenues frauduleusement de l’ex-partenaire (contact de celle-ci sur des plateformes en ligne sous une fausse identité et pratiques BDSM avec yeux bandés pour la victime et auteur silencieux pour ne pas être reconnu) et de l’acceptation de ces relations par la femme indépendamment de l’identité de son partenaire. Le Professeur Thommen examine s’il s’est agi dans cet arrêt d’un rape by deception devant être puni au titre de l’art. 190 aCP pour en conclure par la négative, avant de déterminer si cette violation du droit fédéral n’aurait procéduralement pas dû être corrigée d’office en interrogeant : le Tribunal fédéral connaît-il le droit (iura novit curia foederalis) ?

I. En fait1

À partir de janvier 2017, A et B qui vivent en couple entretiennent des rapports sexuels BDSM (bondage, discipline, sadisme et masochisme). En juillet 2019, B met un terme à cette relation amoureuse, car elle se sent surveillée et oppressée par le comportement intrusif de A. Ils continuent néanmoins à avoir des relations sexuelles. En janvier 2020, B met terme définitif à la relation. Par la suite, A crée des profils fictifs (« F », « Maître H » et « G ») sur des sites de rencontres et cherche ainsi à entrer en contact avec B. En octobre 2020, B et « G » se donnent rendez-vous à trois reprises pour des relations sexuelles BDSM dans lesquels B a les yeux bandés et « G » ne parle pas. Lors de leur dernière rencontre, le 17 octobre 2020, B reconnaît A et interrompt aussitôt le rendez-vous. Le 21 octobre 2020, B dénonce à la police le rapport sexuel du 17 octobre 2020.

Par jugement du 3 octobre 2022, le Tribunal de l’arrondissement de la Veveyse reconnaît A coupable, entre autres, de viol et le condamne à une peine privative de liberté de trois ans, dont deux avec sursis. Sur appel de A, le Tribunal cantonal de Fribourg, par arrêt du 20 décembre 2023, confirme la condamnation pour viol, mais réduit la peine à deux ans avec sursis. Le ministère public forme alors un recours en matière pénale contre cette décision. Sur le fond, il conteste la fixation de la peine (art. 47 CP) qui serait trop clémente. Il conclut à la réforme du jugement en ce sens que A serait condamné à une peine privative de liberté de 3 ans, dont une année ferme. Subsidiairement, il demande l’annulation de l’arrêt.

II. En droit

Composée de cinq juges, la Ire Cour de droit pénal du Tribunal fédéral admet le recours en ce qui concerne la fixation de la peine et renvoie l’affaire au Tribunal cantonal pour nouvelle décision (c. 5). Pour ce faire, le Tribunal fédéral considère que l’autorité précédente :

« a tenu compte, à la décharge de l’intimé, du contexte BDSM dans lequel se sont inscrites les infractions sexuelles et du fait que la victime a – dans l’absolu mais en toute ignorance de l’identité réelle de son partenaire – tout de même accepté de prendre part à ces pratiques sexuelles. Néanmoins, ces circonstances ne peuvent nullement contrebalancer les actes graves commis par l’intimé, lequel doit notamment répondre d’un viol […]. Dans cette mesure, […] la peine de base pour le viol […], fixée par la cour cantonale à un an, est exagérément clémente au vu de l’importance de la faute de l’intimé » (c. 3.3 2e par.).

III. Commentaire

Notre commentaire ne porte pas sur la question, actuellement très débattue en Suisse alémanique (NZZ, 13.11.24), de savoir quelle est la peine appropriée pour un viol. Il s’agit plutôt de savoir si un rapport sexuel obtenu frauduleusement peut constituer un viol et si le Tribunal fédéral n’aurait pas dû examiner cette question d’office.

Les actes en question se sont produits en 2020. Dès lors, la Loi fédérale portant révision du droit pénal en matière sexuelle du 16 juin 2023, entrée en vigueur le 1er juillet 2024, ne leur est pas applicable (art. 2 CP). À l’époque des faits, le viol au sens de l’art. 190 aCP constituait une infraction de violence pour lequel l’autodétermination sexuelle de la femme était dans la majorité des cas brisée par la menace ou la violence physique de l’auteur (ATF 126 IV 124). Ce n’est que dans les cas de violence dite structurelle que la jurisprudence permettait qu’une pression psychique suffise (ATF 131 IV 107). En outre, il était incontesté que la « simple exécution de l’acte sexuel contre la volonté préalablement exprimée » (« blosse Vollzug des Geschlechts-verkehrs gegen den vorgängig geäusserten Willen ») par la femme, mais sans recours à des moyens de contrainte, n’était pas couverte par l’art. 190 aCP (TF 6B_912/2009 du 22.2.2010, c. 2.1.4 ; critique à juste titre Nora ScheideggerDas Sexualstrafrecht der Schweiz, Thèse, Baden-Baden/Berne 2018,N 397 ss). A fortiori, il n’y avait pas non plus de viol en cas de rapports sexuels consentis, même si le consentement avait été obtenu frauduleusement (cf. la proposition rejetée du Conseiller national Hoppeler de rendre punissable l’obtention frauduleuse du rapport sexuel : Bull.stén. 1929N 176 ; Scheidegger, op. cit., 392 : « Wer getäuscht wird, wird nicht genötigt »).

En Suisse, le « rape by deception » n’était donc pas punissable en tant que viol au sens de l’art. 190 aCP, plus plus qu’au titre des attouchements d’ordre sexuel (art. 198 al. 2 aCP). Sous l’ancien droit, le Tribunal fédéral avait tendance, quoique de manière peu convaincante (cf. TF 7B_260/2022 du 15.01.2024, c. 4.3.5), à punir les tromperies quant à l’identité sur la base de l’art. 191 aCP réprimant les actes d’ordre sexuel commis sur une personne incapable de discernement ou de résistance.

Sous le régime du nouvel art. 190 al. 1 CP, il faudra clarifier si, celui qui obtient des actes sexuels par tromperie, agit « contre la volonté d’une personne » (cf. Nora Scheidegger, Sex by Deception, in : German Law Journal 2021, 769 ss).

Sommes-nous en présence d’un cas de « viol par dol » dans le cas jugé dans cet arrêt ? Il est nécessaire de distinguer les trois phases : dans une première phase, entre janvier 2017 et juillet 2019, A et B formaient un couple qui s’adonnait de manière consentante à des pratiques sexuelles BDSM. Cette phase ne pose aucun problème du point de vue du droit pénal. S’agissant de la deuxième phase, soit entre juillet 2019 et janvier 2020, il ressort du dossier que B n’a accepté les contacts sexuels sporadiques que sous l’effet du contrôle permanent et de l’insistance de A. En l’occurrence, le moyen de contrainte consistant à exercer une pression psychique aurait éventuellement pu être admis, mais les contacts de cette phase n’ont apparemment ni été dénoncés ni fait l’objet d’une mise en accusation. Le principe de l’accusation (art. 9 al. 1 CPP) s’opposait donc à une condamnation sur ce plan. Dans la troisième et dernière phase en revanche, B n’a pas consenti aux actes sexuels sous l’effet d’une situation de pression psychologique, mais suite à une tromperie sur l’identité de son partenaire sexuel. Il s’agit ici d’un cas de « rape by deception », qui ne pouvait toutefois être sanctionné pénalement. La condamnation de A pour viol lors de la phase III est donc contraire au droit fédéral selon nous.

Du point de vue procédural, se pose la question de savoir si le Tribunal fédéral aurait pu rectifier cette violation du droit fédéral, bien que le recourant, à savoir le ministère public, ne l’ait pas invoquée. La loi dispose à l’art. 106 LTF que « le Tribunal fédéral applique le droit d’office » (al. 1) et qu’« il n’examine la violation des droits fondamentaux et du droit cantonal et intercantonal que dans la mesure où un tel grief a été soulevé et motivé dans le recours » (al. 2). Cette disposition consacre le principe iura novit curia (ATF 133 III 639). Il découle de l’interprétation littérale et systématique que la violation des droits fondamentaux et cantonaux ne peut être examinée que sur la base d’un grief soulevé par une partie, alors que la violation du droit fédéral peut toujours faire l’objet d’un examen. Une interprétation conforme à la Constitution soutient ce résultat : le Tribunal fédéral est l’autorité judiciaire suprême de la Confédération (art. 188 al. 1 Cst.). Sa tâche principale est donc de veiller à une application uniforme du droit fédéral (BSK BV-Seferovic, Art. 188 N 29). Il doit donc pouvoir corriger d’office les violations du droit fédéral.

L’analyse de la jurisprudence aboutit à un constat moins clair. Le Tribunal fédéral n’examine en principe que les griefs invoqués, à moins que les erreurs d’application du droit ne soient évidentes (ATF 140 III 115 c. 2.). Il ne se voit donc pas dans l’obligation de corriger les violations du droit fédéral dans tous les cas, mais il se réserve un tel droit en cas de violations grossières. Cette solution, selon laquelle le tribunal n’examine en principe que les griefs invoqués, mais peut aussi, dans des cas extrêmes, intervenir d’office, est également à la base de la réglementation – aussi débattue in casu (c. 2.1.4.) – de l’art. 404 CPP, selon laquelle la juridiction d’appel n’examine que les points attaqués du jugement de première instance (al. 1). Elle peut également examiner en faveur du prévenu des points du jugement qui ne sont pas attaqués, afin de prévenir des décisions illégales ou inéquitables (al. 2).

Selon la doctrine, le Tribunal fédéral n’a pas de fonction générale de surveillance. Il ne peut statuer que sur les aspects qui font l’objet du litige. L’application d’office du droit ne porte donc que sur les griefs soulevés, les violations manifestes du droit étant à nouveau réservées (BSK BGG3Dormann, Art. 106 N 1 ss). Ce rattachement à l’objet du litige est convaincant : le point de départ est le dispositif de la décision attaquée. Dans un jugement pénal, le dispositif règle essentiellement la punissabilité et – en cas de condamnation – les sanctions. Le recours porte sur le dispositif. Dans ses conclusions, un recourant peut demander soit l’annulation de la décision (cassation) soit sa modification (réforme). Ces conclusions lient le Tribunal fédéral (art. 107 al. 1 LTF). Dans les motifs, les parties doivent exposer en quoi la décision attaquée viole le droit fédéral (art. 42 al. 2 LTF). Quant à eux, ces motifs ne lient pas le Tribunal fédéral (ATF 141 V 234, c. 1). Le Tribunal fédéral n’est donc pas tenu de se pencher sur les violations du droit fédéral qui n’ont pas été invoquées, mais il peut au moins constater les violations manifestes même si elles n’ont pas été soulevées.

En l’espèce, le tribunal cantonal a retenu, en ce qui concerne la punissabilité, que A est condamné pour viol. Au niveau de la sanction, il a fixé une peine privative de liberté de deux ans avec sursis. Dans son recours, le ministère public a conclu d’une part à la réforme de la sanction, mais aussi, à titre subsidiaire, à l’annulation de l’ensemble de la décision. Le fait qu’il n’ait abordé que la sanction dans sa motivation n’aurait donc pas empêché le Tribunal fédéral de corriger la violation manifeste du droit fédéral quant au chef de viol retenu. Toutefois, une violation du droit fédéral ne peut être corrigée que par celui qui la détecte. En conclusion, une question délicate se pose : iura novit curia foederalis ? Le Tribunal fédéral connaît-il le droit ?

  1. GPT-4 d’OpenAI et DeepL ont été utilisés pour la structuration et l’optimisation linguistique du manuscrit. Le Tribunal cantonal de Fribourg a mis à ma disposition la décision attaquée du 20 décembre 2023 (n° 501 2022 194) à des fins scientifiques, ce dont je le remercie ici.↩︎

Proposition de citation : Marc Thommen, Rape by deception ? – Viol par dol ?, in : https://www.crimen.ch/316/ du 20 février 2025