Le droit de se taire durant une perquisition et le seuil de la tentative de contrainte

Demander à un prévenu le code de son téléphone portable durant une perquisition sans l’avoir informé au préalable de son droit de se taire viole l’art. 158 al. 1 let. b CPP. Les preuves qui en résultent sont inexploitables au sens des art. 141 al. 1 et 158 al. 2 CPP. Par ailleurs, le seuil de la tentative de contrainte n’est pas atteint lorsque le prévenu menace des jeunes femmes dans le but d’obtenir des rendez-vous à visée sexuelle, sans que le lieu ni le moment de ces rencontres ne soient déterminés.

I. En fait

Il est notamment reproché à A d’avoir menacé plusieurs jeunes femmes – dont certaines étaient mineures – de transmettre à des tiers des photographies de leurs corps nus afin de les contraindre à le rencontrer pour participer à des actes d’ordre sexuel et à lui envoyer de nouveaux contenus à caractère sexuel. Les autorités de poursuite pénale ont découvert une partie de ces faits en consultant le téléphone portable de A après que celui-ci a transmis son code PIN à la police sur demande de cette dernière dans le cadre d’une perquisition de son domicile. 

En première instance, le Tribunal de district de Zofingen a estimé que les preuves issues du téléphone portable de A étaient inexploitables et l’a acquitté des infractions y relatives. Pour d’autres faits, il a condamné A à une peine privative de liberté de 12 mois avec sursis. 

La Cour suprême du canton d’Argovie a quant à elle estimé que les preuves issues du téléphone portable de A étaient exploitables. Elle l’a condamné à une peine privative de liberté de 3 ans dont une année ferme pour actes d’ordre sexuel avec un enfant, contraintes, tentatives de contrainte et pornographie.

A forme un recours en matière pénale auprès du Tribunal fédéral. Il fait valoir que les preuves issues de son téléphone sont inexploitables, que l’instance précédente a méconnu la notion de tentative de contrainte et que les faits qui fondent sa condamnation pour actes d’ordre sexuel avec un enfant ont été appréciés de manière arbitraire.  

II. En droit

Dans son premier grief, le recourant soutient que les faits retenus par l’instance précédente s’agissant de quatre plaignantes reposent sur des preuves obtenues illégalement. Il fait valoir que la police lui a demandé le code PIN de son téléphone portable sans l’avoir préalablement informé de son droit de refuser de déposer et de collaborer, en violation de l’art. 158 al. 1 let. b CPP. Le fait que la police ait sollicité cette déclaration dans le cadre d’une perquisition, et non d’une audition au sens des art. 157 ss CPP, ne dispensait pas l’autorité de l’informer de son droit de ne pas s’auto-incriminer. Le recourant estime ainsi avoir été trompé par le procédé mis en œuvre par la police (art. 140 al. 1 CPP), de sorte que les preuves issues de son téléphone devraient être frappées d’une inexploitabilité absolue (art. 141 al. 1 CPP) (c. 2.1). 

Selon l’instance précédente, l’art. 245 al. 2 CPP prévoit que le détenteur des locaux est en principe présent durant la perquisition notamment afin de permettre à la police de lui poser des questions pour faciliter le déroulement de celle-ci, s’agissant par exemple des pièces qu’il occupe ou ce qui se trouve à l’intérieur d’un contenant. De telles questions ne constituent pas une audition du prévenu au sens des art. 157 ss CPP (TF 1B_535/2021 du 19.5.2022, c. 2.3), de sorte que la police pouvait demander au recourant son code PIN sans l’informer de son droit de ne pas s’auto-incriminer (c. 2.3).

Le Tribunal fédéral rappelle que le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination, garanti notamment par les art. 6 CEDH32 Cst113 al. 1 et 158 al. 1 let. b CPP, implique qu’un prévenu ne peut pas être contraint de révéler le code de déverrouillage de son téléphone ou le code PIN ou PUK de sa carte SIM (TF 1B_376/2019 du 12.9.2019, c. 2.3) (c. 2.4.2). L’art. 158 al. 1 CP règle les informations que les autorités de poursuite pénale doivent fournir au prévenu avant sa première audition formelle au sens des art. 142 ss CPP. En revanche, cette disposition n’est pas applicable lorsque la police procède à un interrogatoire informel, par exemple en questionnant une personne présente sur les lieux d’un accident afin de reconstituer les faits. Afin d’éviter que les garanties de l’art. 158 CPP ne soient contournées par le recours à de telles auditions informelles, la doctrine majoritaire estime qu’il convient d’adopter une acception matérielle de la notion d’audition. Ainsi, il faut considérer que l’autorité mène une audition au sens des art. 157 ss CPP dès qu’elle interroge une personne qu’elle soupçonne concrètement d’avoir commis une infraction. Dans ce contexte, le prévenu ne peut valablement renoncer à son droit de garder le silence et de ne pas collaborer que s’il en a été informé et qu’il en a compris la portée. Par conséquent, les déclarations faites par une personne matériellement prévenue ne peuvent être exploitées que si elle les a prononcées après avoir eu connaissance de ses droits (c. 2.4.5). 

En l’espèce, il n’est pas contesté que le recourant a communiqué le code PIN de son téléphone portable lors d’une perquisition de son domicile sans avoir été préalablement informé des droits consacrés à l’art. 158 al. 1 let. b CPP. Dans l’arrêt TF 1B_535/2021 du 19.5.2022 c. 2.5, le Tribunal fédéral avait considéré qu’il n’était pas manifestement illicite de demander informellement au prévenu le code d’accès d’un téléphone portable lors d’une perquisition sans l’avoir informé de son droit de se taire. Cet arrêt, très critiqué par la doctrine, concernait toutefois une procédure de levée des scellés, dans le cadre de laquelle les preuves ne sont exclues qu’en cas d’inexploitabilité manifeste. In casu, le Tribunal fédéral estime que la demande faite au recourant de communiquer le code de son téléphone n’était pas de nature à faciliter la perquisition de son domicile. Notre Haute Cour relève que la police le soupçonnait déjà d’avoir commis une infraction à ce stade de la procédure. Ainsi, il s’agissait d’une audition au sens matériel et le fait de ne pas l’avoir informé de ses droits conformément à l’art. 158 al. 1 CPP constitue une atteinte inadmissible au principe nemo tenetur (c. 2.4.1 et 2.5.1). 

Conformément aux art. 141 al. 1 CPP et 158 al. 2 CPP, les auditions menées sans que le prévenu ait été informé de son droit de ne pas collaborer sont frappées d’une inexploitabilité absolue (c. 2.4.3 et 2.4.4), de sorte qu’en l’espèce, les données issues de la consultation du téléphone portable du recourant doivent être exclues (c. 2.5.1).

Un moyen de preuve dérivé d’une preuve inexploitable ne peut être exploité que s’il est établi qu’il aurait pu être recueilli même sans l’administration de la première preuve (art. 141 al. 4 CPP dans sa version en vigueur depuis le 1erjanvier 2024). En l’occurrence, l’identification de quatre plaignantes découle d’investigations menées sur les plateformes Facebook et Lovoo, consécutives à l’analyse des données du téléphone du recourant. Or, selon l’état de fait retenu par la juridiction de première instance, qui lie le Tribunal fédéral, il n’est pas établi que l’analyse du téléphone du recourant aurait été possible s’il n’avait pas communiqué son code PIN, ni que les preuves issues des investigations complémentaires de la police auraient pu être obtenues sans les données de cet appareil. Il s’ensuit que ces preuves dérivées sont également inexploitables (c. 2.2 et 2.5.2). Le premier grief du recourant est donc admis (c. 2.5.3). 

Sur la base de preuves distinctes, le Ministère public a requis la condamnation du recourant pour tentative de contrainte sexuelle à l’égard de deux victimes, qu’il a menacées de diffuser des photographies d’elles dénudées si elles ne se soumettaient pas à ses sollicitations sexuelles. L’instance précédente a estimé que les pressions exercées par le recourant pour obtenir des rendez-vous avec les victimes ne pouvaient pas être qualifiées de tentative de contrainte sexuelle au sens de l’art. 189 CP. Elle a toutefois considéré que ces agissements constituaient une tentative de contrainte au sens de l’art. 181 CP (c. 3.2).

Dans son deuxième grief, le recourant fait valoir qu’il ne pouvait pas raisonnablement s’attendre à être condamné pour tentative de contrainte par la juridiction d’appel. Il reproche à l’autorité de deuxième instance d’avoir violé l’art. 344 CPP en omettant de l’informer de son intention de s’écarter de l’appréciation juridique des faits retenue dans l’acte d’accusation. Sa condamnation pour tentative de contrainte serait incompatible avec la maxime d’accusation, telle qu’ancrée aux art. 9 et 325 CPP. Il soutient également que les éléments constitutifs de la tentative de contrainte ne sont matériellement pas réalisés, dans la mesure où ni le lieu, ni le moment de la rencontre, ni les actes attendus des victimes n’étaient déterminés (c. 3.1 et 3.4).

Selon la jurisprudence, le seuil de la tentative est notamment dépassé lorsque l’auteur accomplit l’acte qui, dans son esprit, constitue la démarche ultime et décisive vers la commission de l’infraction et après lequel on ne revient normalement plus en arrière (c. 3.3). En matière d’actes d’ordre sexuel avec un enfant, le Tribunal fédéral a établi dans l’arrêt TF 6B_506/2019 du 27.10.2019, c. 2.4, que le fait de se présenter au lieu du rendez-vous convenu constituait cette étape décisive, marquant le point de non-retour selon la théorie du seuil. Dans l’arrêt en question, le prévenu et la victime avaient déterminé à l’avance tant le lieu de la rencontre que les actes d’ordre sexuel qui étaient envisagés.

En l’espèce, bien que le recourant ait voulu obtenir des rendez-vous en vue d’un rapport sexuel, ni le lieu, ni le moment de la rencontre ni les actes concrets envisagés n’avaient été précisés. C’est donc à juste titre que l’instance précédente a estimé que le seuil de la tentative de contrainte sexuelle n’avait pas été franchi. Le recourant ne pouvait pas non plus être reconnu coupable de tentative de contrainte, dès lors que le Ministère public n’avait pas requis une telle condamnation et que l’autorité d’appel ne l’avait pas informé de la requalification juridique envisagée. Les droits de la défense du prévenu (art. 344 CPP) et le principe d’accusation (art. 9 et 325 CPP) ont donc été violés. Sur le plan matériel, le seuil de la tentative de contrainte n’était en tout état de cause pas atteint, faute d’accord sur le lieu et le moment du rendez-vous. Le recours doit donc également être admis sur ce point (c. 3.4).  

Dans son troisième grief, le recourant soutient que sa condamnation pour actes d’ordre sexuel avec des enfants méconnaît le principe in dubio pro reo et est arbitraire (art. 9 Cst), ce que le Tribunal fédéral admet également (c. 4). 

Au vu de ce qui précède, le recours est admis, le jugement entrepris annulé et la cause renvoyée à la Cour cantonale pour nouvelle décision dans le sens des considérants (c. 5). 

III. Commentaire

En accord avec la doctrine majoritaire et a contrario de la solution retenue dans l’arrêt TF 1B_535/2021 du 19.5.2022, le Tribunal fédéral adopte une conception matérielle de la notion d’audition du prévenu. L’obligation faite à la police d’informer celui-ci de son droit de ne pas s’auto-incriminer est ainsi renforcée, y compris lors d’échanges informels en dehors d’un procès-verbal. Dès qu’une personne est soupçonnée d’avoir commis une infraction, elle doit donc être informée de ses droits avant d’être interrogée conformément à l’art. 158 CPP. Dans le doute, les autorités de poursuite pénale ont intérêt à ne pas s’abstenir, sous peine d’encourir la sanction prévue à l’al. 2 (CR CPP-Verniory, art. 158N 7). 

Les preuves dérivées ne sont pas exploitables lorsque la première preuve était une condition sine qua non de leur obtention (CR CPP-Bénédict, art. 141N 37). L’exploitabilité d’une preuve dérivée suppose donc la démonstration qu’elle aurait pu être obtenue sans la preuve illicite. Selon la doctrine, il incombe à l’autorité pénale d’apporter cette preuve, le doute profitant à l’accusé (CR CPP-Bénédict, art. 141N 38 ; Bohnet François/Jeanneret Yvan, Preuve et vérité en procédures pénale et civile suisses, dans : Thévenaz Alain (éd.), Les preuves, Berne 2014 (III, 2014), p. 70 s). Dans un arrêt isolé (TF 6B_640/2012 du 10.5.2013, c. 2.3), le Tribunal fédéral avait laissé entendre qu’il appartiendrait au prévenu de démontrer qu’une preuve dérivée n’aurait pas pu être obtenue sans la preuve illicite. En l’espèce, sans se prononcer expressément sur la répartition du fardeau de la preuve, le Tribunal fédéral exclut l’exploitabilité des preuves dérivées dès lors que l’arrêt de première instance n’établit pas qu’elles auraient été découvertes indépendamment des données extraites du téléphone du recourant. L’échec de cette démonstration est donc imputé à l’État, conformément à la logique de l’art. 141 CPP.

Proposition de citation : Justine Arnal, Le droit de se taire durant une perquisition et le seuil de la tentative de contrainte, in : https://www.crimen.ch/331/ du 1 mai 2025