L’importation illicite d’un produit ayant la double qualité de stupéfiant et de produit thérapeutique : quelle législation appliquer ?

Dans les cas d’importation illicite d’une substance présentant à la fois les qualités de stupéfiant et de produit thérapeutique, la LStup institue un régime plus strict que la LPTh. En vertu de l’art. 1b LStup, c’est donc cette loi qui doit trouver application.

I. En fait

Il est reproché à A d’avoir importé le 11 avril 2023 en Suisse, depuis l’Italie et par voie postale, 400 comprimés de Delorazepam Pensa dans le but de traiter l’épilepsie de sa fille.

Le 4 mai 2023, l’Institut suisse des produits thérapeutiques Swissmedic a déposé une dénonciation pénale à l’encontre de A, estimant qu’il avait violé la loi fédérale sur les stupéfiants (ci-après : LStup).

Par ordonnance du 22 août 2023, la Préfecture du district de Hinwil a classé la procédure ouverte contre A en application de la loi fédérale sur les produits thérapeutiques (ci-après : LPTh). Par arrêt du 11 avril 2025, la Cour suprême du canton de Zurich a rejeté le recours formé par Swissmedic à l’encontre de l’ordonnance de classement précitée.

Swissmedic forme un recours en matière pénale au Tribunal fédéral contre l’arrêt du 11 avril 2025. Il conclut à son annulation et au renvoi de la cause à l’autorité précédente pour un nouvel examen.

II. En droit

En premier lieu, le Tribunal fédéral doit examiner si Swissmedic dispose de la qualité pour recourir dans la présente affaire. Il rappelle que, selon l’art. 81 al. 1 let. a et b ch. 7 LTF, a notamment qualité pour former un recours en matière pénale quiconque a pris part à la procédure devant l’autorité précédente et dispose d’un intérêt juridique à l’annulation ou à la modification de la décision attaquée, en particulier les autorités administratives participant à la poursuite et au jugement des affaires pénales administratives selon la loi fédérale sur le droit pénal administratif (ci-après : DPA) (c. 1.2.1). En l’espèce, conformément à l’art. 90 al. 1 LPTh, Swissmedic est une autorité administrative participant à la poursuite et au jugement des affaires pénales administratives au sens de la DPA. L’Institut a, par ailleurs, pris part à la procédure devant la précédente instance (c. 1.2.2). 

Conformément à l’art. 90 al. 3 LPTh, lorsque la poursuite pénale relève de la compétence d’un canton, l’Institut peut faire valoir dans la procédure les droits reconnus à la partie plaignante. Cette disposition a pour objectif de garantir que Swissmedic, chargé d’assurer une application uniforme de la LPTh sur l’ensemble du territoire suisse, puisse également exercer sa mission dans le domaine pénal (c. 1.2.3). Dans l’arrêt TF 6B_863/2023 du 5.2.2024, le Tribunal fédéral s’est prononcé sur la recevabilité du recours formé par Swissmedic dans une affaire où l’Institut demandait notamment la condamnation du prévenu, acquitté en application de la LPTh, pour une infraction à la LStup. Le Tribunal fédéral a jugé que Swissmedic ne disposait pas de la qualité pour recourir sur ce point, dès lors que qu’il ne relève pas de sa mission de veiller à l’application uniforme de la LStup (c. 1.3.1).

En l’espèce, Swissmedic reproche aux autorités précédentes d’avoir fondé leurs décisions sur la LPTh, alors que la LStup était applicable. Toutefois, à la différence de l’arrêt précité, l’Institut ne requiert pas la condamnation du prévenu pour une infraction à la LStup, mais uniquement l’annulation de la décision attaquée et le renvoi de la cause à l’autorité précédente pour qu’elle statue à nouveau. Dès lors que le litige porte sur la question de l’applicabilité de la LPTh, il convient de reconnaître à Swissmedic un intérêt juridiquement protégé au sens de l’art. 81 al. 1 let. a et b ch. 7 LTF(c. 1.3.2). Partant, le recours est recevable (c. 1.5).

Sur le fond, Swissmedic fait valoir que l’instance précédente a violé le droit en appliquant la LPTh au lieu de la LStup(c. 2.1). 

Le Delorazepam Pensa saisi contient des benzodiazépines générant une dépendance, classée comme substance psychotrope au sens de l’art. 2 let. b LStup et inscrite à l’Annexe 3, Tableau B, OTStup-DFI. Il est donc soumis aux dispositions de la LStup, sauf disposition contraire (art. 2b LStup) (c. 2.2.1). En outre, le Delorazepam est une substance anxiolytique et sédative destinée à agir médicalement sur l’organisme humain (art. 4 al. 1 let. a LPTh) et constitue, par conséquent, un produit thérapeutique au sens de l’art. 2 al. 1 let. a LPTh. En l’espèce, il a effectivement été utilisé comme médicament dans le traitement de l’épilepsie de la fille du prévenu. Il en résulte que tant la LPTh que la LStup sont, en principe, susceptibles de s’appliquer au cas d’espèce (c. 2.2.2).

La relation entre la LStup et la LPTh est régie à l’art. 1b LStup. Selon cette disposition, la LPTh s’applique aux stupéfiants utilisés comme produits thérapeutiques. Toutefois, la LStup est applicable lorsque la LPTh ne contient pas de réglementation ou qu’elle en prévoit une moins étendue. Ainsi, lorsque la LStup institue des règles plus strictes que la LPTh, ce sont ses dispositions qui prévalent (TF 2C_442/2021 du 6.4.2022, c. 5.3 ; TF 6B_646/2020 du 9.12.2021, c. 1.5.2) (c. 2.3). 

Pour déterminer la législation applicable, l’art. 1b LStup requiert une comparaison globale des régimes juridiques prévus par la LStup et la LPTh au regard de la situation considérée – en l’espèce, l’importation de stupéfiants à usage thérapeutique –, indépendamment de la disposition spécifique susceptible de régir le cas d’espèce (c. 2.8.1). Le Tribunal fédéral procède à cette comparaison afin d’identifier la loi qui prévoit le régime le plus strict et qui doit, dès lors, trouver application in casu.

Tant l’art. 19 al. 1 let. b LStup que l’art. 86 al. 1 let. a LPTh prévoient, en cas d’importation intentionnelle non autorisée de stupéfiants ou de médicaments, une peine privative de liberté de trois ans au plus ou une peine pécuniaire. La LPThse révèle toutefois plus stricte, puisqu’elle réprime également la négligence (art. 86 al. 4 LPTh) (c. 2.5). 

Lorsque le stupéfiant utilisé comme produit thérapeutique est importé en Suisse pour une consommation personnelle, l’infraction devient une contravention dans les deux lois (art. 19a al. 1 LStup art. 87 al. 1 let. f LTPh). L’amende maximale s’élève à CHF 10’000 selon la LStup et à CHF 50’000.- selon la LPTh (c. 2.6.1). L’infraction privilégiée de l’art. 19a LStup ne vise que les importations destinées à la seule consommation personnelle de l’acquéreur, à l’exclusion de toute consommation par des tiers (ATF 118 IV 200, c. 3d), tandis que celle de la LPTh inclut également dans la notion de consommation personnelle l’usage du produit par des personnes vivant dans le même ménage que l’acquéreur (FF 1999 3151, p. 3203) (c. 2.6.2). L’importation par négligence d’un médicament destiné à un usage personnel est punie d’une amende pouvant s’élever à CHF 20’000.- selon l’art. 87 al. 3 LPTh, alors qu’elle n’est pas réprimée par la LStup (c. 5.6.3). L’art. 19a al. 2 LStup, prévoit que l’autorité compétente peut suspendre la procédure ou renoncer à prononcer une peine « dans les cas bénins » (c. 2.6.4.1), tandis que l’art. 87 al. 6 LPTh réserve une telle possibilité aux cas « de très peu de gravité » (c. 2.6.4.2). 

La LPTh permet, à des conditions moins strictes que la LStup, l’importation en petites quantités par des particuliers de médicaments non autorisés en Suisse destinés à un usage personnel (c. 2.7.1). En effet, selon les art. 20 al. 2 let. a LPThet l’art. 48 OAMéd, les particuliers sont autorisés à importer des médicaments prêts à l’emploi non autorisés en Suisse, pour autant qu’il s’agisse de faibles quantités correspondant à leur consommation personnelle, c’est-à-dire une dose équivalant approximativement à un mois de traitement (c. 2.7.1.1). Ce droit vaut également pour les personnes en bonne santé et peut être exercé par le biais d’une importation postale. A l’inverse, la disposition analogue en droit des stupéfiants (art. 5 al. 1bis LStup en lien avec l’art. 41 OCStup) réserve cette faculté aux voyageurs malades, lesquels doivent en outre transporter eux-mêmes les substances nécessaires à leur traitement pour une durée maximale de trente jours. L’importation postale est ainsi exclue en matière de stupéfiants, alors qu’elle demeure admise, dans une certaine mesure, pour les médicaments relevant de la LPTh (c. 2.7.1.2). Une seconde différence tient à l’exigence d’autorisation : la LStup soumet l’importation de stupéfiants à une autorisation de Swissmedic (art. 5 al. 1 LStup), sauf exceptions limitées – notamment pour les voyageurs malades (art. 5 al. 1bis LStup en relation avec l’art. 41 OCStup). À l’inverse, l’importation par des particuliers d’une petite quantité de médicaments à des fins d’usage personnel n’est en principe soumise à aucune obligation d’autorisation (art. 20 al. 2 let. a LPTh en relation avec l’art. 48 OAMéd) (c. 2.7.2).

Bien que la LPTh prévoie sur certains aspects une réglementation plus étendue, le Tribunal fédéral estime que la LStupinstaure, dans son ensemble, un régime plus strict pour l’importation de stupéfiants à usage thérapeutique, en raison du champ d’application plus limité de l’infraction privilégiée en cas de consommation personnelle, de l’absence de possibilité d’importation postale pour les particuliers en bonne santé et de l’obligation d’une autorisation de Swissmedic pour toute importation (c. 2.8.2).

En définitive, l’autorité précédente a violé le droit fédéral en considérant que la LStup ne contenait pas de dispositions plus strictes que la LPTh et, qu’en conséquence, cette dernière loi devait s’appliquer. Cette conclusion est d’autant moins fondée qu’elle repose sur une comparaison des dispositions privilégiées des deux lois, alors que le prévenu ne pouvait se prévaloir de l’art. 19a al. 2 LStup, dès lors qu’il n’avait pas importé la substance litigieuse pour l’ingérer personnellement. Le recours est donc fondé (c. 2.8.3). La LPTh n’étant pas applicable, l’autorité précédente devra également réexaminer la compétence de l’autorité de première instance, qui était fondée sur l’art. 87 al. 1 let. f et al. 3 LPTh (c. 2.8.4).

Au vu de ce qui précède, le recours est admis, l’arrêt attaqué annulé et la cause renvoyée à l’autorité précédente pour nouveau jugement dans le sens des considérants (c. 3). 

III. Commentaire

La délimitation entre la LStup et la LPTh est particulièrement complexe : leurs champs d’application se recoupent fréquemment, et déterminer laquelle prévaut suppose une analyse approfondie de leurs régimes respectifs. Cette difficulté apparaît dans des situations bien plus sensibles que celle d’espèce, comme l’affaire dans laquelle un médecin avait prescrit du pentobarbital à une patiente en bonne santé souhaitant mourir. Saisi à deux reprises, le Tribunal fédéral avait finalement jugé qu’aucune des deux lois n’était applicable au comportement reproché au médecin, entraînant son acquittement (voir : https://www.crimen.ch/97/https://www.crimen.ch/271/https://www.crimen.ch/276/).

En l’espèce, le Tribunal fédéral retient que l’importation illicite de médicaments contenant des stupéfiants est régie par la LStup plutôt que par la LPTh. Ce résultat correspond à la volonté du législateur : dans son message relatif à l’art. 2 al. 1bis aLStup – aujourd’hui repris à l’art. 1b – , le Conseil fédéral indiquait que la LStup instaurait un régime plus sévère pour « l’importation et l’exportation des médicaments » contenant des stupéfiants, et qu’elle devait, partant, prévaloir dans ces situations (FF 1999 III 3151, p. 3265). Au-delà de cette affirmation de principe, il incombait toutefois aux autorités judiciaires d’établir que la LStup se révélait effectivement plus stricte dans de tels cas – ce que la présente décision clarifie.

Proposition de citation : Justine Arnal, L’importation illicite d’un produit ayant la double qualité de stupéfiant et de produit thérapeutique : quelle législation appliquer ?, in : https://www.crimen.ch/350/ du 26 novembre 2025