Les articles en procédure pénale
Le droit de se taire durant une perquisition et le seuil de la tentative de contrainte
Demander à un prévenu le code de son téléphone portable durant une perquisition sans l’avoir informé au préalable de son droit de se taire viole l’art. 158 al. 1 let. b CPP. Les preuves qui en résultent sont inexploitables au sens des art. 141 al. 1 et 158 al. 2 CPP. Par ailleurs, le seuil de la tentative de contrainte n’est pas atteint lorsque le prévenu menace des jeunes femmes dans le but d’obtenir des rendez-vous à visée sexuelle, sans que le lieu ni le moment de ces rencontres ne soient déterminés.
Levée des scellés sur un téléphone portable contenant des images intimes : l’intérêt à la poursuite pénale prime sur celui à la protection de la personnalité
La mise sous scellés d’un objet en vue de son séquestre doit reposer sur l’un des motifs prévus à l’art. 264 CPP, applicable par renvoi de l’art. 248 CPP. Les smartphones utilisés à titre privé entrent dans la catégorie des « documents personnels » au sens de l’art. 264 al. 1 let. b CPP. Ceux-ci ne bénéficient toutefois pas d’une protection absolue ; il appartient à la personne concernée de démontrer que son intérêt à la protection de sa personnalité l’emporte sur l’intérêt public à la poursuite pénale. In casu, l’intérêt du recourant à la protection d’images sexuellement explicites de lui-même et de sa compagne cède le pas devant celui à l’élucidation de l’infraction dont il est prévenu, à savoir l’importation de 7,18 kg de cocaïne coupée, en raison de la gravité des faits.
Le droit du prévenu en détention de communiquer par téléphone avec son défenseur
Le droit à une défense effective garantit à toute personne détenue avant jugement la possibilité d’échanger avec son défenseur de manière simple, rapide et peu coûteuse. Son incarcération ne doit pas péjorer ses droits de défense par rapport à un prévenu en liberté. Il bénéficie ainsi en principe du droit de communiquer par téléphone avec son avocat. Outre en présence d’un risque fondé d’abus, ce droit peut être limité en termes de fréquence, de durée et d’horaires des contacts téléphoniques, afin de garantir l’ordre et la sécurité de l’institution carcérale.
L’impossibilité d’étendre l’objet d’un appel principal par le biais d’un appel joint sur appel joint
La possibilité d’étendre l’objet d’un appel principal par le biais d’un appel joint sur appel joint irait au-delà du but de l’appel joint qui, par définition, se conçoit comme une faculté à l’unique disposition de la partie intimée à l’appel principal. En outre, reconnaître la possibilité, pour un appelant principal, censé avoir choisi de façon définitive de limiter l’objet de son appel, de déposer un appel joint sur un appel joint serait également contraire au souci d’économie du procès et d’allègement de la procédure. Un tel appel est ainsi irrecevable.
Provocation policière ou maintien du contact avec la personne soupçonnée : où se situe la limite ?
En matière d’actes d’ordre sexuel avec des enfants, l’agent de police qui œuvre dans le cadre d’une recherche préventive secrète peut relancer une conversation par chat sans que cela relève de la provocation policière. Le fait que l’agent de police ait demandé à la personne ayant publié une annonce à caractère sexuel si elle « cherche encore quelqu’un » est une manière de maintenir le contact et non pas une incitation à commettre une infraction.
Chronique de jurisprudence annuelle 2024
crimen.ch publie sa chronique de jurisprudence annuelle en matière pénale de l’année 2024.
La compétence pour accorder des allégements à l’exécution anticipée des peines et mesures revient aux autorités cantonales d’exécution
Suite à la modification de l’art. 236 CPP entrée en vigueur le 1er janvier 2024, le Tribunal fédéral abandonne sa jurisprudence selon laquelle la direction de la procédure était compétente aussi bien pour autoriser l’exécution anticipée des peines et mesures, que pour accorder d’éventuels allègements dans ce cadre. Désormais, seules les autorités cantonales d’exécution statueront sur les demandes d’allègement à l’exécution anticipée des peines et mesures.
L’exploitabilité des preuves collectées illicitement par des particuliers : une approche abstraite suffit pour l’examen de la condition du recueil hypothétique licite par l’autorité
Lorsque l’on examine la condition du recueil hypothétique licite par l’autorité dans l’analyse de l’exploitabilité d’une preuve obtenue illicitement par un particulier, il n’est pas nécessaire d’explorer, de manière concrète, les circonstances existantes au moment de la récolte de la preuve. Ainsi, il n’y a pas lieu de se demander si, au moment du recueil de la preuve par le particulier, il existait des indices suffisants pour éveiller des soupçons auprès de l’autorité si celle-ci en avait eu connaissance. Il suffit de vérifier de manière abstraite si le moyen de preuve en question est permis par la loi et s’il n’est pas exclu par une restriction légale.
La récusation d’un agent de police : des exigences d’impartialité réduites par rapport à celles d’un procureur ou d’un juge (rappel de jurisprudence)
Les motifs de récusation cités à l’art. 56 CPP s’appliquent à un agent de police en tant que membre d’une autorité pénale (art. 12 let. a CPP). La récusation en raison d’une suspicion de prévention est examinée à l’aune de l’art. 29 al. 1 Cst., en tenant compte de la différence de fonction entre une autorité de poursuite pénale et un tribunal (art. 13 CPP). L’art. 30 al. 1 Cst. garantissant le droit à un tribunal impartial s’applique ainsi avec réserve aux autorités non judiciaires. Il en découle que les exigences d’impartialité sont moins strictes pour un agent de police que pour un procureur ou un juge, étant rappelé que seules des erreurs graves ou fréquentes permettent de conclure à une apparence de partialité d’un procureur.
Détention avant jugement et risque simple de récidive (art. 221 al. 1 let. c CPP) : deux condamnations antérieures au moins sont nécessaires
Suite à l’entrée en vigueur de la révision du CPP, le Tribunal fédéral analyse et modifie sa jurisprudence relative à l’art. 221 al. 1 let. c CPP : la notion d’infractions « commises » se rapporte exclusivement à des infractions antérieures ayant fait l’objet d’un jugement entré en force. Partant, une procédure pénale en cours ne peut à présent plus être prise en compte en tant qu’infraction antérieure. Un prévenu ne peut donc être placé en détention avant jugement en raison d’un simple risque de récidive que s’il a déjà été condamné pour au moins deux infractions du même genre dans le cadre de décisions entrées en force.
Risque de récidive qualifié : le Tribunal fédéral précise les conditions de l’application du nouvel art. 221 al. 1bis CPP
L’une des conditions cumulatives pour prononcer la détention provisoire fondée sur un risque de récidive qualifié suppose une infraction reprochée contre des biens juridiques précieux (art. 221 al. 1bis let. a CPP). Cette gravité ne s’évalue pas uniquement de manière abstraite sur la base de la peine encourue, mais aussi selon les circonstances concrètes de l’infraction.
Rape by deception ? – Viol par dol ?
Une peine privative de liberté de deux ans au titre de l’art. 190 aCP est exagérément clémente et contraire au droit fédéral en dépit du contexte des relations sexuelles obtenues frauduleusement de l’ex-partenaire (contact de celle-ci sur des plateformes en ligne sous une fausse identité et pratiques BDSM avec yeux bandés pour la victime et auteur silencieux pour ne pas être reconnu) et de l’acceptation de ces relations par la femme indépendamment de l’identité de son partenaire. Le Professeur Thommen examine s’il s’est agi dans cet arrêt d’un rape by deception devant être puni au titre de l’art. 190 aCP pour en conclure par la négative, avant de déterminer si cette violation du droit fédéral n’aurait procéduralement pas dû être corrigée d’office en interrogeant : le Tribunal fédéral connaît-il le droit (iura novit curia foederalis) ?