Les articles en droit matériel

Caractère insistant et valeur culturelle d’une représentation de la violence (art. 135 CP) et dol éventuel de l’art. 2 aLAQEI

Le caractère insistant des actes de cruauté punis par l’art. 135 al. 1 CP ne peut pas être exclu en raison de la courte durée d’une vidéo qui peut durer vingt secondes. En outre, le simple fait que les vidéos contiennent des légendes incitant au partage afin de condamner les violences représentées ne suffit pas à leur conférer une valeur culturelle digne de protection, faute de fournir ni clarification ni analyse, privant ainsi le spectateur d’une confrontation critique à la violence. Enfin, l’art. 2 al. 1 aLAQEI sanctionne une infraction intentionnelle et le dol éventuel suffit.

Limites de l’acceptation du risque lors d’une activité sportive et restriction du champ d’application de l’art. 237 CP

Dans le cas d’une mise en danger d’autrui avec son consentement (einverständlicher Fremdgefährdung) lors d’une activité sportive, la victime n’accepte pas valablement le risque lorsque la maîtrise de l’enchaînement causal se trouve entre les mains de l’auteur, que celui-ci viole gravement les règles applicables à la discipline sportive en question et que la victime ne peut intervenir. Par conséquent, l’auteur répond de la réalisation du risque qu’il crée. En outre, le Tribunal fédéral modifie sa jurisprudence relative à l’art. 237 CP et restreint ainsi son champ d’application : la victime de l’infraction ne peut être qu’un usager des transports publics touché par hasard, usager qui représente donc la collectivité. En d’autres termes, l’art. 237 CP ne peut s’appliquer que lorsqu’une pluralité de biens juridiques représentant la collectivité sont mis en danger ou lorsqu’une seule personne ou chose est mise en danger fortuitement, sans qu’elle ne soit déterminée de manière individuelle en amont.

Cas de peu de gravité et expulsion pénale en cas d’obtention illicite de prestations d’une assurance sociale ou de l’aide sociale : le Tribunal fédéral fixe des limites chiffrées

En cas de perception indue d’une prestation d’une assurance sociale ou de l’aide sociale (art. 148a CP) d’un montant inférieur à CHF 3’000.-, il faut toujours partir du principe que l’on se trouve en présence d’un cas de peu de gravité puni de l’amende (art. 148a al. 2 CP), qui exclut le prononcé d’une expulsion (art. 66a al. 1 let. e CP a contrario et art. 105 al. 1 CP). Si le montant de l’infraction est supérieur à CHF 36’000.- il ne s’agit plus, sauf circonstances particulières, d’un cas de peu de gravité. Entre ces deux limites, l’examen du degré de culpabilité de l’auteur permet de déterminer si un cas de peu de gravité doit être retenu.

Conversion d’une peine pécuniaire en peine privative de liberté de substitution et compatibilité avec la Directive européenne sur le retour

Selon la Directive européenne sur le retour, applicable en Suisse, les mesures de refoulement ont la priorité sur le prononcé d’une peine privative de liberté à l’encontre du ressortissant d’un pays tiers qui est en séjour illégal. Le prononcé d’une peine pécuniaire est compatible avec la Directive s’il n’entrave pas la procédure de renvoi. Dans l’hypothèse où la peine pécuniaire est convertie en une peine privative de liberté de substitution, l’autorité d’exécution doit s’assurer que la conversion est conforme à la réglementation européenne. A cette fin, il est nécessaire d’examiner le dossier relatif à la procédure de droit des étrangers menée à l’encontre de la personne concernée dès lors qu’il permet de déterminer si les mesures nécessaires à la mise en œuvre du renvoi ont été prises et si la conversion de la peine pécuniaire en peine privative de liberté de substitution et, le cas échéant son exécution ne compliquent pas le refoulement.

L’interdiction de transmission au détenu de photographies de ses enfants sur lesquels il a auparavant commis des crimes d’une particulière gravité

Lorsque des enfants sont victimes de crimes d’une particulière gravité commis par leur père, il appartient aux autorités publiques chargées de l’exécution de la sanction pénale de protéger leur personnalité, tant que les mesures prises ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire. En l’espèce, il était proportionné d’exiger le consentement des enfants et victimes de A – avec lesquels tout contact lui était interdit par le plan d’exécution de sa sanction – à ce qu’il lui soit transmis leurs photographies.

Mobile honorable et activisme climatique

Un mobile honorable (art. 48 let. a ch. 1 CP), conduisant à une atténuation de la peine (art. 48a CP), est susceptible d’entrer en considération à l’égard d’activistes du climat en tant qu’ils agissent dans une perspective de sensibilisation écologique, ou d’éveil des consciences face à l’insuffisance de l’action politique sur ce plan. Cependant, si les actions des activistes reflètent en même temps une critique anticapitaliste ou traduisent une remise en question de la légitimité démocratique du droit et des autorités chargées de son application, aucun mobile honorable ne peut être retenu. Il en va de même lorsque les actes des militants, par leur violence, conduisent à des déprédations ou à un risque d’atteinte à l’intégrité corporelle d’autrui.

L’exception au prononcé d’une interdiction à vie d’exercer une activité et la notion de « cas de peu gravité »

En cas de condamnation pour pornographie impliquant des actes d’ordre sexuel avec des mineurs, le principe est celui du prononcé d’une interdiction à vie de toute activité professionnelle et non professionnelle organisée supposant des contacts réguliers avec des mineurs (art. 67 al. 3 let. d ch. 2 CP). La renonciation exceptionnelle à cette interdiction suppose que soient remplies les conditions cumulatives prévues par l’art. 67 al. 4bis CP, à savoir qu’il s’agisse d’un cas de peu de gravité et que ladite interdiction ne paraisse pas nécessaire pour empêcher la récidive. Le tribunal doit renoncer à prononcer l’interdiction si ces deux conditions sont remplies et que les lettres a et b de cette même disposition (exception à l’exception) ne sont pas applicables. La notion de cas de peu de gravité doit être appréhendée strictement. Télécharger et détenir 136 images à contenu pornographique dur ne peut manifestement pas être interprété comme étant de peu de gravité.

Production en justice de données soumises au secret bancaire : violation de l’art. 47 LB par dol éventuel

Un avocat ne saurait partir du principe que son client, aussi consciencieux se soit-il montré par le passé, a procédé au caviardage des données soumises au secret bancaire lorsqu’il lui remet un document bancaire en vue de sa production en justice. L’avocat doit prendre connaissance de l’intégralité du document et, cas échéant, caviarder les données qui ne l’ont pas été avant de le produire en justice. À défaut, l’avocat viole le secret bancaire (art. 47 al. 1 let. c LB) par dol éventuel.

La condamnation d’un Conseiller d’Etat et de son chef de cabinet à l’infraction d’acceptation d’un avantage (art. 322sexies CP)

Les infractions d’octroi et d’acceptation d’un avantage (art. 322quinquies et 322sexies CP) sont des infractions dites « miroir », mais qui restent autonomes. Pour l’agent public, il importe peu de savoir si le corrupteur lui offre un avantage indu dans l’intention de l’influencer dans l’accomplissement des devoirs de sa charge. Dès que l’agent public a conscience du caractère indu de l’avantage qu’il accepte, que cet avantage est objectivement susceptible d’influencer l’agent public dans l’exercice de ses fonctions et que l’agent s’accommode de le recevoir en raison de sa qualité de fonctionnaire, l’infraction est réalisée. Par conséquent, il n’existe pas de parallélisme entre l’illicéité de l’octroi de l’avantage indu et celle de son acceptation par l’agent public.

Expulsion d’un étranger vers un État tiers sans examen de son droit à y séjourner

L’expulsion pénale d’un étranger (art. 66a CP) vers un « État tiers » doit être possible, ce qui suppose qu’il y bénéficie d’un droit de séjour. Lorsqu’elle est prononcée « vers un pays tiers » sans précision quant à l’État de destination, si ce n’est qu’il ne peut s’agir de l’État où l’étranger ne peut être renvoyé en raison du principe de non-refoulement, l’expulsion est contraire au droit fédéral.

Spectacle humoristique à relents négationnistes punissables :  des propos contraires aux valeurs de la CEDH ne bénéficient pas de la protection de la liberté d’expression

La remise en question de l’existence des chambres à gaz durant l’Holocauste constitue une négation de l’extermination systématique des personnes juives sous le régime nazi et est dès lors susceptible de réaliser les éléments constitutifs de l’art. 261bis par. 4 in fine CP (incriminant la négation, la minimisation ou la justification d’un génocide ou d’autres crimes contre l’humanité), même si les propos négationnistes sont tenus dans le cadre d’un spectacle humoristique. Si la protection de la liberté d’expression au sens de l’art. 10 CEDH couvre également la satire, elle est néanmoins restreinte par la clause de l’interdiction de l’abus de droit de l’art. 17 CEDH. Ainsi des propos contraires aux valeurs sous-tendant la CEDH se voient-ils soustraits à la protection de l’art. 10 CEDH par le biais de l’art. 17 CEDH.

Pas de thérapie par électrochocs sous la contrainte

Un jugement pénal qui prononce une mesure thérapeutique institutionnelle (art. 59 CP) contre l’auteur tout en réservant la possibilité d’une médication forcée ne permet pas à l’autorité d’exécution des peines d’ordonner une thérapie par électrochocs (électroconvulsivothérapie) sous la contrainte, traitement distinct et, en l’état actuel de la science, sujet à débat.